Au docu-fiction d’arte, préférons la lecture du passionnant travail de Charles-Eloi Vial, en vente en librairie ce 4 janvier
Encore une biographie de « l’Autrichienne », cette reine martyre changée en icône fashion ? Reste-t-il encore quelque chose à connaître de la « Lady Diana » de l’Ancien Régime, immortalisée depuis des lustres par des tombereaux de livres, de films – de Stefan Zweig à Sofia Coppola –, voire de séries télévisées ?
Dérive woke sur arte
À l’occasion de la récente restauration du hameau du Petit Trianon qui menaçait ruine, la chaîne franco-allemande remet le couvert avec un long métrage en libre accès sur arte.fr jusqu’à fin février. Documentaire photogénique, forcément, au reste pas déshonorant du tout sur le terrain de la véracité factuelle, telle qu’énoncée en voix off. La réalisation n’en est pas moins émaillée des inévitables inserts fictionnés qui sont aujourd’hui le poncif obligé du docu (roucoulade muette de Fersen, l’imberbe amant prussien, fixant d’un regard embué sa Marie-Antoinette enamourée). Mais surtout, on déplorera que ce docu-fiction ne résiste pas à dévaler tout schuss la piste wokiste, en tendant à nous peindre la reine fantasque et dispendieuse sous le jour fallacieux d’une militante féministe avant la lettre… Passons.
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Historien émérite à qui l’on doit déjà, sous les fidèles auspices des éditions Perrin, plusieurs ouvrages de référence sur la fin de l’Ancien régime et les révolutions françaises (Les Derniers feux de la monarchie – la cour au siècle des révolutions, 1789-1870, ou encore La Famille royale au temple), Charles-Eloi Vial s’est lancé quant à lui dans un Marie-Antoinette dont on peut dire a contrario qu’il dépasse de très haut toutes les attentes. Car ce pavé de plus de 700 pages ne se contente pas de raconter par le menu les étapes mille fois ressassées de cette vie d’enfant gâtée tranchée par la Terreur révolutionnaire quelques mois après l’exécution du royal époux, bientôt suivi sur l’échafaud par Madame Elisabeth, sœur de Louis XVI.
Remise en perspective
Ce qui rend neuf et véritablement passionnant le récit concocté par cet archiviste paléographe et conservateur à la BNF, c’est que, retournant aux seules sources avérées et les fouaillant avec une précision quasi-chirurgicale, il restitue à plein cette destinée follement romanesque (et pour cause si durablement sujette aux extrapolations les plus débridées) dans le contexte intellectuel, moral, diplomatique et géopolitique du temps. En sorte que ce volume ne vient pas compléter de façon oiseuse une historiographie déjà surabondante sur ce personnage « clivant », « d’abord dauphine immature puis souveraine frivole, épouse mélancolique et mère épanouie, s’entourant d’une coterie qui n’appartenait qu’à elle, vivant dans un monde à part, sourde à tous les avertissements » (…) jusqu’à cette « maturité (…) qu’elle ne put jamais connaître avant sa terrible captivité et son passage sous le couperet de la guillotine, à seulement trente-sept ans ».
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De fait, un projet ambitieux habite l’ouvrage de Charles-Eloi Vial: au prisme de cette tragédie tout à la fois intime et publique, livrer les clefs d’une lecture historique qui, confrontant documents d’archives et témoignages d’époque – journaux intimes, Mémoires, correspondances diplomatiques…-, analyse, en creux, la réalité sociale, politique, confessionnelle, morale qui sous-tend et conditionne l’existence entière de Marie-Antoinette. Passionnante remise en perspective. Si le livre se lit de bout en bout comme un roman-fleuve palpitant, c’est qu’il conjugue ainsi, dans l’écrin d’une prose élégante et limpide, l’observation très fine de la société aristocratique au crépuscule de l’Ancien Régime, et la chronologie détaillée de l’inexorable descente aux enfers de Louis XVI et de son épouse.
Un monde englouti
Attentif à relever les innombrables citations apocryphes comme les impérissables anachronismes, l’historien montre de quel poids étouffant l’étiquette de la cour, dans la France extraordinairement stratifiée de l’Ancien régime, conditionne les comportements, et à quel point la Révolution fut, pour le couple royal comme pour la plupart des courtisans, un événement incompréhensible compte tenu de leur éducation intellectuelle. Marie-Antoinette – qui entre parenthèses « jamais ne joua à la fermière, ne donna pas de grain aux poules ni ne battit le grain dans la baratte » nous apparaît, à distance du portrait extravagant et trivial propagé de nos jours par la doxa féministe, sous les traits d’une princesse de haute lignée « habituée au luxe dès sa petite enfance », excessivement naïve, infiniment seule car propulsée dès ses 15 ans, en gage d’une fragile alliance internationale, dans un environnement qui lui était parfaitement inconnu, otage à Versailles d’un cérémonial honni que, nostalgique de son pays natal, elle fuira précisément dans les bals, le jeu, dans sa passion immodérée pour l’architecture et les arts décoratifs, sans se rendre compte « que la simplicité champêtre à laquelle elle aspirait coûtait extrêmement cher. Elle avait préféré comprendre, remarque l’auteur, que le déficit [de l’Etat], bien abstrait à ses yeux, était avant tout causé par les dépenses militaires et en aucun cas par ses caprices ». Vernie sur le tard, en mûrissant, d’un commencement de culture politique, « L’Autrichienne » s’avèrera capable de tenir un (vain) double jeu quand elle sentira le piège de la Révolution se refermer sur elle. Animée, dans son calvaire ultime, « d’un courage et d’une dignité qui forcent l’admiration, transformant son image pour la postérité ».
Au-delà du portrait subtil et nullement hagiographique qu’il fait de la dernière reine de France, Charles-Eloi Vial rend compte au premier chef, avec une minutie captivante, des réalités tangibles propres à cette époque troublée. De fait, « la figure marmoréenne de la reine martyre éclipse toute la complexité de l’Ancien Régime finissant. Derrière Marie-Antoinette se cache tout un monde englouti ». Un monde que son talent érudit remet en surface, pour notre admirative délectation.
A voir : Le Versailles secret de Marie-Antoinette. Documentaire-fiction de Mark Daniels et Sylvie Faiveley. France, Allemagne, couleur, 2018. Durée : 1h30. Sur Arte. Disponible en accès libre sur arte.tv jusqu’au 28 février 2024.
A lire : Marie-Antoinette, par Charles-Eloi Vial. 715 pages, éditions Perrin. En librairie le 4 janvier 2024
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