Les timbres sont de petits bouts de papier fascinants, qui permettent de payer l’affranchissement des lettres d’amour et des faire-part de décès. Les timbres font le délice des collectionneurs et la fierté de La Poste. On voit par là que le sujet est d’importance. L’information selon laquelle le visage apposé sur le nouveau timbre « Marianne », dessiné par les artistes David Kawena et Olivier Ciappa, s’inspire du visage d’Inna Shevchenko (fondatrice du mouvement Femen) ne vous aura certainement pas échappé.
Ce nouveau timbre, présenté comme une « Marianne de la jeunesse » a été « dévoilé » dimanche par François Hollande. Dévoilé, je souligne, car se sont les mots de la Présidence, et pas simplement « présenté ». Le sujet est d’importance. Le sujet est quasiment religieux. Car donner à Marianne les traits d’une Femen, est le coup de génie d’une modernité laïque qui réaffirme gaiement les contours de ses propres croyances et de son mysticisme : la jeunesse, la féminité, la contestation, la nudité, etc.
Mais qui est Marianne ? Bien avant d’être incarnée par Brigitte Bardot ou Catherine Deneuve, la figure de Marianne est celle d’une sainte laïque. Philippe Muray en parlait en ces termes dans Le XIXe siècle à travers les âges : « Tous les jours nous léchons pour les coller sur des enveloppes l’envers de timbres reproduisant la tête d’une femme coiffée d’un bonnet phrygien. On la prénomme Marianne cette créature sévère avec son bonnet frigide sur la tête. Mais d’abord pourquoi ce bonnet ? Référence en passant au culte de Mithra, le grand totémisme phrygien des baptêmes dans le sang des taureaux. Rappel aussi de l’interprétation rosicrucienne du bonnet écarlate dont on coiffait le massacreur du taureau et qui était censé symboliser le prépuce ensanglanté… La République Française, donc, gravée dans son carré de timbre avec sa verge rebroussée rouge sur la tête. On s’en met, des choses curieuses, sous la langue chaque jour…Cocarde circoncise. Avertissement répété à la castration. Chapeau de sacrifice. Souvenir sous votre salive de l’assassinat fondateur devenu couvre-chef ou béret rituel. » Un peu plus loin Muray s’interroge sur le nom même de Marianne, et propose une hypothèse allant à contre-courant des lectures habituelles : « Le nom de Marianne adopté comme prénom qui-va-de-soi de la République allégorisée vient tout simplement d’une société clandestine qui s’appelait La Marianne. Une association de conjurés de l’ouest conspirant dans le but de renverser le régime mis en place par le coup d’état du 2 décembre 1851 ». Sombre culte socialiste à mystères, dont les rites incluent des cérémonies initiatiques, la récitation de répliques apprises par cœur, des signes de reconnaissance, etc. Rituels. Religion. « Cent ans plus tard, évidemment, tout le monde a oublié ces laborieuses origines. Marianne est devenue une revenante, elle aussi, un petit fantôme dans son carré de papier crypté. La société secrète est loin. Du moins on pourrait le croire. Elle est toujours là en vérité, somnambuliquement vraie avec son bonnet pénien, elle a survécu à ses débuts camouflés »
On pourrait croire que la Sainte-Femen-Marianne-de-la-jeunesse portait un collier de fleurs sous son bonnet phrygien ; faux : elle porte l’auréole renouvelée de notre modernité. Et le concert de louanges que l’on entend à son propos, depuis quelques jours, n’est que le chant d’amour de nos contemporains pour un symbole dévot. Et quand la ferveur religieuse envers les Femen (elles adorent d’ailleurs faire des happenings dans des églises) rencontre la dévotion envers le mystère-républicain-à-bonnet le succès est assuré. On va lécher, on va lécher… ah ça oui, on va lécher !
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