Accueil Édition Abonné Marianne dans la fosse

Marianne dans la fosse

Peut-on encore sauver la France ?


Marianne dans la fosse
Richard Plaud et sa Tour Eiffel en allumettes, Charente-Maritime. Capture d'écran FRANCE 3

Quoi qu’il en coule…


Le pays sombre. Terminé pour les machines et le grand bleu-blanc-rouge. Enfin un consensus. L’endroit le plus profond de la croûte terrestre, à proximité de l’île de Guam, c’est la fosse des Mariannes : moins 11 000 mètres. La France, son histoire, sa culture, sa grandeur, son honneur importent peu aux élites mondialisées, journalistes lotophages, politiques bas de plafond.  « Ils dînent du mensonge et soupent du scandale » (Chénier).

À l’occasion des remaniements, à la foire du trône des ambitions, de la bêtise et du cynisme, tout se troque et se monnaie : mairie de Paris, pairies, parachutes, prébendes, dignités d’ambassadeur, billard à trois bandes de Mormons. « Il faut sauver la France… Oui, il est temps de se réveiller, croyez-moi » (Nicole Beltrame, mère du colonel Arnaud Beltrame).

Cap Carnaval

L’Etat est indigent, épuisé de troupes et d’argent. Un tas de nains difformes vendent le pays au poids. Tout se fait par intrigue et rien par loyauté. Tous les voyants sont au rouge : désindustrialisation, déficit commercial record de 100 milliards €, déculottées diplomatiques à répétition, chaos migratoire, obscurantisme, séparatismes, corporatismes, bureaucratie, quoi qu’il en coule.

L’écho de la débâcle est amplifié, redoublé par les incantations d’un président naufragé qui répète ad nauseam qu’il a un cap, qu’il accélère, qu’il réarme, retrouve des souverainetés. Le redressement, c’est pour Plutarque. Depuis huit ans, il gesticule, essaie, d’incarner la France, des costumes trop larges pour lui. Lundi Romulus, mardi Brutus, mercredi Pyrrhos, jeudi Pompée, vendredi Colombo, samedi Houdini, dimanche Inspecteur Gadget. A l’image d’un Georges Marchais qui amusait la galerie en jouant l’affreux Jojo dans les années 80, Emmanuel Goldorak se complaît dans sa caricature, « Macron- Transformation ».

Arrivé à Matignon déguisé en Monsieur Hamel (La Dernière classe, Alphonse Daudet), moitié Bibi Fricotin, moitié Martine, Gabriel Attal est sur tous les fronts. Pimpant et volontaire comme l’héroïne, à l’école, à la ferme, à la foire, petit rat de l’opéra, le Premier ministre fait du théâtre, protège la nature, apprend à nager. Il sait aussi taper du poing sur la table : « Tu casses, tu répares ; tu salis, tu nettoies ; tu défies l’autorité, on t’apprend à la respecter ». L’ordre est de retour. Juan Branco et les cailleras font dans leur jogging. 

A lire aussi, Ivan Rioufol: La poudre aux yeux, symptôme du vide en politique

Notre Education nationale, censée instruire et former la jeunesse, réussit l’exploit d’être la plus médiocre, la plus inégalitaire et la plus stressante de l’OCDE. Les syndicats aboient, le caravansérail éducatif déraille dans le déni, le jargon, les trajectoires -non euclidiennes – d’inclusion durable. Depuis deux générations, rien n’y fait. Postures, impostures, la garde meurt et Michard l’attend. Pour noyer le poisson, masquer l’écroulement, les FFI de la pédagogie (Forces Françaises de l’Inférieur) allument des contrefeux, lynchent Stanislas, flinguent ce qui marche, coupent ce qui dépasse : le mérite, les diplômes, les talents. Les rancœurs et fureurs des médiocres, idéologues rentiers de l’idéal victimaire, insoumis en peau de lapin (blanc aux yeux rouges), sont inextinguibles.

Dans les classes, sur Pronote, Parcoursup, la mode est au management : acronymes mystérieux, HLP (Humanités-Littérature-Philo), HGGSP (Histoire-Géographie-Géopolitique-Sciences-Politiques), PowerPoints interactifs, transdisciplinaires, civico-humanitaires, sur tout, partout : Mumbai, une métropole fragmentée ; Les Cévennes, un territoire rural multifonctionnel. Après son exfiltration de la rue de Grenelle, Amélie Oudéa-Castéra confesse, radieuse : « Je me sens plus aguerrie que jamais, le regard tourné vers l’avenir, droit devant ». C’est louche.

Frédéric Mitterrand raille. La nouvelle ministre de la Culture « n’y connait rien, mais ce n’est pas grave ». Qui connaissait, que connaissaient, Rima Abdul Malak, Frank Riester, Fleur Pellerin ? Rachida Dati a une ambition, classique comme un tailleur Chanel. Elle veut « replacer la culture au cœur de notre projet de société », réchauffe pour la 1000e fois le Proust « pour tous », répète un numéro bien rodé de fille à la valise, en carton, sauce piquante (Milady-Pauline Bonaparte-Chihuahua Pearl). Puissance et gloire de l’ascenseur social. Dans l’eau trouble d’un regard, l’aventure et la passion, autour de Château Valmont… Les Héritiers vengeurs de race, les agrégées de Lettres ouvertes, Trissotin progressistes, sont taisants, piégés dans le Bourdieu, l’accusation de « mépris de classe », l’angoisse de se faire sucrer une subvention publique. Leurs aides de géants les empêchent de râler.

Décomposition française

Sur l’essentiel, les enjeux civilisationnels (la nature arraisonnée par la Technique, L’Homme unidimensionnel, le règne de la marchandise, le sac du droit civil, les transgressions généalogiques, la crétinisation numérique), le gouvernement et les médias, incapables de se projeter, nous abreuvent de mensonges amers et pathétiques, slogans magiques (la transition écologique, le mix énergétique), miroirs aux alouettes bios. Demandez les nouveautés en magasin ! Un « pack gouvernemental » (Dupond c’est vendeur, le pack a remplacé les pactes), l’IA made in France, un ubuesque « verrou numérique » pour limiter l’accès des mineurs aux réseaux sociaux, un 666e nouveau plan anti-stups, spécial villes moyennes…

La Start-up nation vient d’être sacrée championne du monde de boulangerie (devant la Corée du sud et le Japon), Richard Plaud est recordman de la plus haute Tour Eiffel en allumettes. Bip-Bip… Comme Coyote à la poursuite de Roadrunner et des déconvenues, Marianne mouline des jambes, dans le vide. Pour éviter de se fracasser au fond du canyon, elle se raccroche à un couteau sans lame auquel il manque un manche, l’Europe à l’agonie. À Bruxelles, on peut admirer La Chute d’Icare, chef-d’œuvre de Brueghel l’Ancien. Son testament artistique, La Parabole des aveugles, est conservée au musée Capodimonte de Naples. « Si un aveugle guide un aveugle, ils tomberont tous deux dans la fosse » (Mt 15,14).

Les plans B sont enterrés, les lendemains ne chantent plus. Nous sommes au-delà du « Tous pourris », de la rancœur, de la haine parfois. Les citoyens qui vont encore voter n’attendent plus qu’une chose de leurs représentants : qu’ils les fassent rire. Emmanuel Guy Lux, Gabriel Garnier et les vachettes du gouvernement font le job. Intervide… Tout cela va mal finir.

« Gouvernants, méfiez-vous des mots. Ils soulèvent les montagnes quand ils sont des mots vivants ; ils les sapent quand ils sont des mots morts. Rappelez-vous que, de même qu’il est préférable de ne pas donner un ordre, à en donner un dont l’exécution ne sera pas exigée, de même il est préférable de se taire, à lâcher des mots qu’on a privés de leur aiguillon ; je vais jusqu’à croire que le vice du verbiage est une des causes de notre décadence : on avait beau nous dire (comme aujourd’hui) les meilleures choses du monde, personne n’écoutait plus. Qu’on me pardonne un concetto : dans ce creux, la nation s’engouffre » (Henry de Montherlant).  




Article précédent Le Hamas contre Israël, ce n’est pas David contre Goliath!
Article suivant Zénitude muséale

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération