« Il n’y a ni homme, ni femme » (Ga 3,28)
On aimerait penser que tous ceux qui chercheront à faire passer les opposants au « mariage homosexuel » pour d’affreux réactionnaires homophobes en seront dorénavant pour leurs frais : le nombre d’élus de gauche qui se déclarent plus ou moins ouvertement opposés au projet de « mariage pour tous » du gouvernement ne cesse de croître. Au premier rang desquels le socialiste Bernard Poignant, proche de François Hollande -tellement proche d’ailleurs qu’il dispose paraît-il d’un bureau à l’Elysée -, maire de Quimper, député au parlement européen où il préside la délégation du Parti socialiste français, qui affirme en conclusion d’un billet marqué par un scepticisme nuancé à l’égard de ce projet : « […] on peut considérer qu’un enfant doit se forger dans l’altérité des deux genres, masculin et féminin. […] tout progressiste dans ce dossier doit d’abord penser à l’enfant. » Dans l’utilisation précautionneuse du mot « genre » plutôt que du vocable vieux français « sexe », on voit à quel point Bernard Poignant est soucieux de complaire à la doxa genderiste de son camp.
Mais cette discrète marque d’allégeance ne suffit apparemment pas aux furies pro-mariage gay, qui ne souffrent d’entendre aucune réticence, aucune voix discordante dans le camp du Bien. Ainsi Audrey Pulvar s’en prend vertement au déviant Poignant en édito du dernier numéro des Inrockuptibles – qui, dès sa Une, milite sans ambiguïté ni subtilité excessive pour la totale : mariage, adoption, procréation – en l’accusant fielleusement « de ne pas être tout à fait à l’aise avec l’homosexualité », en compagnie de tous ceux qui à gauche expriment quelle que réserve que ce soit sur la question du mariage gay. Car pour madame la ministre, c’est de cela qu’il s’agit avec ce « mariage pour tous ». Celui qui ne rend pas les armes et n’accepte pas la totale, c’est qu’il n’est pas tout à fait au net sur son rapport avec l’homosexualité :
« Un moment d’absolue vérité. Rien de moins. Le jour où chacun, face à son psychisme, ses peurs, fantasmes et legs, doit se montrer vrai. Face à face avec soi-même. Qui est cet autre qui me regarde droit dans les yeux ? Prendre le temps de descendre en soi, celui de l’honnêteté maximale. Répondre, en remontant à la surface, à une question, la seule qui vaille : aujourd’hui, moi qui me regarde dans ce miroir, considéré-je l’homosexualité comme normale ou déviante ? Ni faux-fuyants, ni politiquement correct, ni suivisme, ni résignation, mais la vérité de soi. Oser l’affronter. Être homosexuel, est-ce “en mon âme et conscience” pareil qu’être hétérosexuel ou, au fond de moi, n’est-ce que “quelque chose” dont je m’accommode, que je tolère ? Oui ou non, hétéros et homos sont-ils égaux en droits et en devoirs ? Ni moins, ni plus. »
Je crois qu’avec ces quelques phrases horriblement pompeuses, on touche au cœur du sujet tel qu’il a été posé par les militants du mariage gay : soit tu es avec moi, soit tu es contre moi. Soit tu répètes avec nous « il-n-y-a pas de différence » et « oui-ou-non hétéroz’é homos sont-ilz’égaux », soit tu es homophobe. Remarquons aussi l’étrange disposition mentale à laquelle nous invite Audrey Pulvar : si je prends le temps de descendre en moi, j’y trouverai un autre moi, un moi mensonger qui résiste à ma propre vérité et qui est composé de peurs, de fantasmes et de legs, bref d’un « psychisme » qui me plombe et m’empêche de penser ce qu’il faut penser. Car au fond (c’est le cas de le dire) c’est à une forme de conversion loin du vieux moi, héritage indésirable d’un passé révolu, à quoi nous invite Audrey Pulvar. Il faut prendre cet « âme et conscience » à la tonalité religieuse au sens fort. C’est le vieil homme qu’il faut dépouiller, comme disait saint Paul. On voit à quel point, même lorsqu’on se croit affranchi de tous ses « legs », on reste tributaire de sa propre tradition religieuse…
Mais d’où vient qu’Audrey Pulvar ne paraisse pas voir la contradiction ? C’est peut-être parce que, en apnée, le cerveau fonctionne mal : la mémoire flanche, le raisonnement faiblit. C’est d’ailleurs peut-être aussi pour cela qu’on nous invite à descendre si profondément en nous-mêmes. Parce qu’il ne reste plus à ces profondeurs, en guise de pensée, que les réflexes conditionnés de la morale contemporaine, et les seuls conformismes de la soumission aux rudes injonctions de la papesse de la branchitude bien-pensante. Qui accepterait d’être conformiste ? Personne. C’est pourquoi il faut faire passer, et plus encore transformer, ce « suivisme », cette « résignation » et ce « politiquement correct » en « vérité de soi », en adhésion de l’âme et de la conscience qui fait table rase de tout ce qui n’est pas elle. Les mots sont forts, et l’on voit que le religieux n’est pas aujourd’hui toujours où l’on croit. On est presque tenté d’appeler la laïcité au secours.
Eh bien non chère Audrey, pour ce qui me concerne je ne descendrai pas en apnée tout au fond de moi-même pour m’y rencontrer dans un miroir, car je veux que mon âme soit prise par un Dieu tout Autre, et tout autre que celui du narcissisme de « la vérité de soi » : je respirerai au grand air, librement. Et tâcherai de penser de même.
*Photo : descartes.marco
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !