En France, émettre une opinion peu enthousiaste sur le mariage gay ou ses dérivés, vous expose à l’accusation d’homophobie, et donc à être excommunié en chaire, c’est-à-dire à la télé. Vous serez expulsé de la communauté des gens fréquentables – voire de votre logement.
Chez nous, en Italie, la sanction peut se révéler pire encore. Sachez d’abord qu’ici, les couples homos n’ont toujours pas le droit de convoler ni d’adopter – on en est encore à discuter d’une sorte de « pacte civil ». Sans doute frustrés par cette perspective pas assez matrimoniale à leurs yeux, et jaloux de leurs voisins français ou anglais, les activistes gays italiens entendent se rattraper sur le terrain judiciaire. Aussi mènent-ils actuellement bataille pour le projet de loi déposé par le député de gauche Scalfarotto contre l’« homophobie » et la « transphobie », actuellement en discussion au Sénat, après avoir été approuvé par la Chambre des députés.
En théorie, on ne peut qu’applaudir. Interdire que l’on persécute un citoyen pour cause de préférences sexuelles minoritaires, mais légales, est une excellente chose. Seulement, comme dirait la grand-mère de Martine Aubry, y’a un loup. En effet, malgré les demandes répétées de l’opposition, le texte se refuse à définir les délits d’« homophobie » et de « transphobie ». En clair, les tribunaux apprécieront. En plus clair encore, sous couvert de punir la violence, la discrimination ou les appels à la haine, on ouvre la porte au délit d’opinion. Si la loi Scalfarotto n’est pas réécrite de fond en comble, comme on dit chez vous, le premier juge venu pourra décider que s’être opposé au mariage gay ou à la GPA constitue un délit avec, à la clé, des peines pouvant aller jusqu’à un an et demi de prison.[access capability= »lire_inedits »]
Exagération propre aux esprits étroits, contaminés par la gangrène réac ? Si vous avez l’immense bonheur d’être italophone (et même si vous ne l’êtes pas, faites un effort, ça vaut le coup), allez donc chercher sur le Net les « linee guida per un’informazione rispettosa delle persone LGBT » (« lignes directrices pour une information respectueuse des personnes LGBT »), vous comprendrez ce que certains progressistes entendent par « lutte contre les discriminations » – je propose comme traduction « cassage de gueule de ceux qui ne pensent pas droit ». Et, pour que le doute ne soit pas permis, ce qu’il convient de penser y est explicitement exposé.
Ce kit de bienséance, notamment adressé aux journalistes, a été publié sur le site du ministère pour l’Égalité des chances. On y stipule, par exemple, que l’expression « utero in affitto » (« prêt d’utérus ») est à proscrire, parce qu’elle renvoie à une idée négative et commerciale de cette pratique, alors qu’il s’agit d’« une aspiration du couple gay ou lesbien à avoir ses propres enfants ». Seuls des monstres pourraient vouloir contrarier une aspiration si légitime. Gare au confrère qui oserait parler de « mariage gay », parce que la formule correcte est « mariage entre deux personnes de même sexe » – dans les romans, qui seront vite sommés de s’adapter, la formule sera du meilleur effet. Il est aussi formellement déconseillé d’écrire que l’enfant « a besoin d’une figure masculine et d’une figure féminine comme condition fondamentale pour garantir son équilibre psychologique » (et il devrait être interdit de le penser). Enfin, un chapitre entier recense les règles à observer pour ne pas véhiculer des « discours de la haine », un autre est consacré aux « tics homophobes » que tout journaliste sérieux doit éviter.
La pièce était jouée d’avance. Mais, comme en France, de petits grains de sable perturbent le scénario. Dans la bataille contre la loi Scalfarotto, ces grains de sable sont les Sentinelle in Piedi (« sentinelles debout »). Nées l’an dernier dans le sillage des Veilleurs français, elles se battent avec les mêmes méthodes : la station debout, l’immobilité et la lecture en silence. Au risque d’enrager ceux qui, à gauche, fantasment un ennemi fasciste, les lecteurs des Sentinelle pèchent plutôt par excès de gandhisme.
Mais il y a plus grave que ce refus suspect de la violence, c’est que l’arme secrète des Sentinelle, c’est la raison. Oui, vous avez bien lu, la Raison. Qui peut les inviter à la désobéissance civile, voire à la rébellion maîtrisée, mais qui passe d’abord par l’expression mesurée d’un désaccord face à la démesure des injures et invectives dont elles sont la cible. « Si, aujourd’hui, il suffit de lire en silence pour être accusé d’homophobie, que se passera-t-il demain si le projet Scalfarotto devient une loi ? », se demandent les Sentinelle sur leur site.
Le 5 octobre dernier, pendant que La Manif pour Tous défilait à Paris et à Bordeaux, des dizaines de milliers de Sentinelle se sont rassemblées dans plus de cent villes d’Italie pour la défense de la liberté d’expression. En silence, pendant une heure, chacun brandissant un bouquin, séparés de deux mètres les uns des autres.
Ce happening pacifique – plutôt classe dans sa symbolique, non ?– n’a pas touché la gauche radicale et des groupes LGBT, qui ont organisé partout des contre-rassemblements pour crier face aux caméras leur haine envers les « homophobes-fachos-bigots-rétrogrades » (petite sélection d’insultes entendues sur place). Comme l’heure n’est plus aux minauderies – l’hydre homophobe rôde –, les camarades ont parfois poussé leur combat pour la tolérance jusqu’à l’agression physique. À Rovereto, dans le nord du pays, un prêtre, Matteo Graziola, et une jeune femme ont fini à l’hôpital.
Quand ils ne défendaient pas leurs opinions à la barre de fer, les gardiens de la démocratie se sont, un peu partout, exprimés en lançant des bouteilles, des œufs et des préservatifs pleins d’eau (et pas seulement), si possible en direction des mères poussant leurs bébés dans leurs landaus –, il suffit de faire une petite recherche sur YouTube pour voir de ses propres yeux.
Bien sûr, la presse « progressiste » n’a pas fait dans le détail : les cogneurs étaient les gentils libertaires et les Sentinelle, restées impassibles face aux violences, les vilains fachos. Comme quoi l’Italie n’est pas un pays si exotique que ça. Sauf qu’à la différence de ce qui s’est passé en France, des voix discordantes se sont fait entendre à gauche, notamment celle de Mario Adinolfi, l’un des fondateurs du Parti démocrate. En bisbille avec la direction de son parti sur les dossiers du mariage gay et de l’adoption, depuis un an, Adinolfi a franchi le Rubicon et s’est décidé, le 5 octobre dernier, à veiller aux côtés des Sentinelle, à Rome, devant le Panthéon : « Je dois avouer, raconte-t-il, qu’à la cinquante et unième minute, debout, immobile sur le pavé devant le Panthéon, des craquements aux genoux m’ont fait penser : tout cela est-il vraiment nécessaire ? Puis j’ai regardé les cinq ou six opposants accourus pour faire je ne sais quoi avec leurs petits triangles roses, et j’ai compris que c’était la formule parfaite. Nous, plus de cent, en silence, en train de lire. Eux, très peu nombreux, égarés et dépourvus d’arguments pour répondre. Parce que nous, on était là, debout, aussi pour eux. Pour leur liberté. »
Le 13 janvier prochain, Mario Adinolfi lancera son nouveau quotidien, La Croce. Son sous-titre : Contre les faux mythes du progrès.[/access]
*Photo : Luigi Mistrulli/SIPA. 00680891_000007.
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