Marc Cohen. Frigide, quoi qu’il se passe désormais dans une des deux assemblées, c’est plié maintenant. Excuse-nous de te l’annoncer aussi sèchement, mais le mariage gay sera bientôt dans la loi. Crois-tu encore dans la réussite de ton combat et, si oui, par quel miracle?
Frigide Barjot. Même si la loi finit par être votée, les jeux ne seront pas faits : on peut très bien retirer une loi déjà votée, comme Jacques Chirac l’a fait avec le « contrat première embauche ». Je te rappelle qu’en 2006, non seulement le CPE a été adopté par le Parlement, mais qu’en plus la loi l’instituant a été promulguée et publiée dans le Journal officiel ! On sait ce qu’il advint de ce CPE quand le président Chirac est redescendu sur terre à force d’entendre le peuple gronder sous ses fenêtres, a cessé de n’écouter que les ultras de sa majorité et a enfin réalisé que même son électorat naturel était contre… Du coup, le chemin est tracé : mariage gay, CPE, même motif, même punition ! Pour qu’on nous entende, il faudra être encore plus à crier encore plus fort !
Jérôme Leroy. Imaginons que la droite revienne aux affaires dans quatre ans et abroge la loi. Peut-on revenir en arrière ? Que fera-t-on alors des couples déjà mariés ?
FB. Ils resteront mariés. La loi ne doit pas être rétroactive. Il ne s’agit d’ailleurs pas tant d’une histoire de couples que de filiation. Pour ma part, je défends une union civile de droit privé, qu’on peut appeler « alliance pour le glamour », avec des droits patrimoniaux, fiscaux et sociaux égaux, qui serait bien plus légitime que l’absurde « mariage pour tous ». Et je trouve tout à fait normal que le conjoint homosexuel ait droit à un congé d’accueil après la naissance de l’enfant. Il suffit d’une loi pour instaurer ces mesures d’égalité qui ont trait à la vie privée. Il existe d’ailleurs deux projets alternatifs d’union civile, un défendu par le franc-tireur UMP Daniel Fasquelle et un autre par l’UNAF (Union nationale des associations familiales).
JL. Ne pourriez-vous pas accepter une sortie de crise intermédiaire ? Par exemple, l’idée d’un mariage gay avec une adoption strictement encadrée…
FB. Non. Il faut comprendre que le projet du gouvernement est très idéologique. Au lieu de créer un autre type de contrat entre vifs ou un dispositif légal négociable, on a décidé de bouleverser l’institution du mariage, qui est d’ordre public parce qu’elle est faite pour un homme et une femme en vue du renouvellement de la société sans la déséquilibrer. Au nom de l’égalité et de la lutte contre les discriminations, on fait sauter l’institution. Or la vraie égalité devrait respecter le cadre structurant au lieu de le dynamiter. Voilà ce qui n’est pas négociable.[access capability= »lire_inedits »]
JL. Mais l’égalité est au cœur de notre République, et même de sa devise !
FB. Et c’est très bien comme ça ! Mais là, on tord le bras des mots. On prétend vouloir atteindre l’égalité entre les couples, c’est absurde : deux couples ne peuvent pas être égaux si leur situation n’est pas égale. Les couples hétérosexuels et homosexuels sont peut-être égaux quant à leur amour, mais ne peuvent l’être face aux conséquences pour la société de leur union amoureuse. Ce sabordage du mariage retirera très concrètement à certains enfants le droit d’avoir un père et une mère. Le mariage vient du mot « mère », « qui prend mari », dans des liens matrimoniaux pour donner un père à son enfant. Mère + mari = mariage !
MC. Le mariage n’a quand même pas attendu Mme Taubira pour décliner en France. On se marie de moins en moins et de plus en plus tard, on divorce de plus en plus tôt, etc. Pourquoi diable une catholique, branchée de surcroît, défend-elle mordicus cette institution laïque et beauf qu’est le mariage civil ?
FB. Le mariage civil est une institution juridique de droit public qui institutionnalise la nature humaine incarnée par un homme et une femme. C’est sur cette base-là qu’on construit toutes les règles de droit de la société et qu’on juge des rapports sociaux. Il s’agit aujourd’hui de remplacer cette norme homme/femme donnée par la nature (ou la biologie) par la pure volonté humaine. Nous assistons donc à la prise de pouvoir idéologique de la « théorie du genre ». Et la ministre de la Famille, Mme Bertinotti, veut faire une règle publique de l’orientation sexuelle, qui est de l’ordre du privé.
MC. Tu m’amuses, avec ton Code civil brandi comme le Petit Livre rouge ou les Saintes Ecritures. Il n’y a pas si longtemps, ton même Code édictait que l’homme était « chef de famille » !
FB. Mais on n’est plus au XIXe siècle, et le mariage est heureusement paritaire. Sylviane Agacinski rappelle que la femme a un pouvoir supérieur fondamental : celui de donner la vie. D’après le Code civil, le mariage entraîne une présomption de paternité pour les enfants nés et transfère votre filiation du mariage à l’enfant que vous adoptez conjointement, si vous n’arrivez pas à faire d’enfant. Autrement dit, le mariage garantit la filiation.
JL. L’impact de votre mobilisation du 13 janvier n’aurait-il pas été beaucoup plus fort si vous n’aviez réuni que 300 000 manifestants, dont un tiers d’organisations politiques et de manifestants explicitement de gauche ? Vous n’avez pu rallier à votre cause ne serait-ce qu’une seule personnalité de gauche connue…
FB. Simone Veil, qui n’est pas de droite, a défilé avec nous, comme Georgina Dufoix, ministre de la Santé de François Mitterrand. Nous avons aussi avec nous le sénateur Jean-Jacques Rateau, du Parti radical de gauche. Patrick Hénault, ex-ambassadeur des droits de l’homme à l’ONU, nous prête main forte. Mais surtout, nous avons vu se lever dans l’Hémicycle une des figures les plus respectée de la gauche d’outre-mer, mon nouvel ami Bruno Nestor Azérot, député de la Martinique, qui s’est appuyé sur le passé esclavagiste des Antilles pour dire son fait à Mme Taubira. Et c’est cet homme de gauche, 100% marxiste, qui organise les « Manif pour tous » à Fort-de-France! Par ailleurs, quatre députés PS ont annoncé qu’ils voteraient contre le projet de loi, dont le propre petit-neveu de Mitterrand. Certains maires de gauche, comme à Vaulx-en-Velin, nous soutiennent de tout cœur mais ne peuvent pas manifester avec nous, pressions obligent ! Sylviane Agacinski n’est pas catholique, mais nous fournit une aide décisive en répétant à chaque fois qu’on l’interviewe qu’il ne faut pas toucher au vivant, et qu’elle viendra manifester s’il le faut ! Depuis le début, je répète à Georgina Dufoix − et à son mari, Antoine − que c’est un couple marié, celui de Sylviane Agacinski et de Lionel Jospin, qui fera basculer le rapport de force en notre faveur.
JL. En attendant, la présence d’élus UMP et FN a brouillé votre message apolitique, ou disons « politiquement œcuménique ».
FB. Nous avons demandé fermement à Jean-François Copé de venir sans sa grosse main bleue ni ses banderoles de l’UMP. On m’a beaucoup critiquée pour avoir imposé des slogans et trop encadré la manifestation. Je crois qu’il fallait au moins ça pour neutraliser toute velléité de récupération. Les banderoles de partis, c’est dans la manif officielle, quasi étatique, des LGBT du 27 janvier qu’il fallait les chercher !
MC. À propos de cette manif « anti-anti » du 27 janvier, beaucoup de slogans LGBT te prenaient personnellement et explicitement à partie. Tu en a souffert ?
FB. Je me suis assez moquée des personnages publics par le passé pour me poser en indignée. Et si tu veux tout savoir, Marco, j’ai rigolé de bon cœur en découvrant certaines pancartes comme celle où on pouvait lire : « Frigide, ta touffe m’étouffe ! » J’ai été aussi pliée en quatre par une autre pancarte qui faisait référence à ma pseudo carrière de chanteuse et à mon tube galactique, Fais-moi l’amour avec deux doigts, et qui disait : « Deux doigts pour nos anneaux, pas pour la chatte à Barjot ! ».
MC. À propos de ta manif, cette fois, et de tes amis de l’UMP : te rends-tu compte que tu as défilé aux côtés de responsables politiques qui ont imposé ou, au moins, entériné l’enseignement de la « théorie du genre » au lycée!
FB. Je déplore les méfaits de la « théorie du genre », mais les responsables de l’UMP bottent en touche lorsqu’on les interpelle sur le sujet. Au-delà de mon combat contre la remise en cause d’une institution républicaine qui protège le plus faible, je suis chrétienne : je pardonne donc à M. Copé les errements de son parti sur la « théorie du genre »… à condition qu’il ne recommence pas!
MC. À ton avis, quelle est la motivation profonde de ceux qui veulent imposer cette « théorie du genre » comme vérité scientifique?
FB. Certains veulent à tout prix être leur propre maître et refusent toute loi externe. Ils veulent devenir Dieu à la place de Dieu, et prétendent que la loi naturelle est fasciste. C’est un magnifique péché d’orgueil, un péché contre le sens de la vie. L’autre jour, à l’Elysée, avec Laurence Tcheng et Jean-Pier Delaume, nous nous sommes contentés de montrer l’amour de Dieu à César pour que César ne se prenne pas pour Dieu.
JL. J’ai rêvé, ou bien le projet de loi Taubira ne prévoit ni PMA ni GPA…
FB. Quand on remet en question le principe fondateur de l’engendrement humain, le reste suit logiquement. Sous l’influence de théoriciennes ultra-féministes comme Judith Butler, les femmes vont prendre le pouvoir. Les hommes, réduits au rôle de « donneur », n’existeront plus !
MC. Sans être favorable à la gestation pour autrui, j’estime, moi, qu’un enfant né de père français par GPA a parfaitement le droit d’être français. Cet enfant n’a commis aucun crime lui ôtant le droit à faire partie de la communauté nationale ! Pourquoi vous opposez-vous à la fameuse « circulaire Taubira » ?
FB. Elle ne concerne en théorie que 40 enfants, victimes d’une zone de non-droit juridique. Mais quand cette circulaire sera devenue un décret, les lobbies diront que c’est une jurisprudence et nous sommeront d’adopter la GPA. On me répète toute la journée que ces familles existent et qu’il faut légiférer en conséquence. Mais de ces quelques cas, nous allons faire la norme ! Il faut publier des décrets personnels, afin de ne pas remettre en cause le principe général.
JL. Revenons à nos manifs : la France de 2013 est laïque, voire largement athée. Comment construire une majorité d’opinion autour d’un noyau dur « catho tradi »…
FB. Les « cathos tradis », comme vous dites, ont surtout défilé avec Civitas, et notre manif du 13 janvier dépassait déjà largement le cadre des catholiques tout court. Et le mouvement qui vient ressemblera de moins en moins à sa caricature en loden bleu et jupe plissée. Les ouvriers, les employés sont avec nous : c’est ce qui compte, ou plutôt qui comptera pour empêcher le pire. Ce sont les classes populaires qui feront basculer le Président. Marine Le Pen, soit dit en passant, a raté le coche lorsqu’elle a prétendu ne pas vouloir entrer dans un débat sociétal. Ce débat, ces exigences posées à la gauche sont autant sociétales que sociales. Un de nos nouveaux slogans, c’est : « On veut des emplois, pas de la loi Taubira ! » ou encore « Nos ventres ne sont pas des caddies ! » Nous le mettrons de plus en plus en avant et nous obtiendrons le soutien des victimes de la crise. De tous côtés et de toutes origines, les gens viendront nous rallier, surtout lorsqu’ils comprendront que notre combat ne vise absolument pas les homosexuels, ce dont je suis la garante.
JL. Vous êtes peut-être la garante du respect de l’homosexualité. Mais il n’est pas facile d’éviter l’accusation d’homophobie…
FB. C’est vrai, mon combat n’est pas facile. Nous effectuons un gros travail de lutte contre l’homophobie au sein des classes sociologiquement catholiques et de droite, un peu crispées par l’homosexualité. Les plus crispés ne sont pas d’ailleurs les curés, mais des laïcs. D’ailleurs, mes intuitions viennent, d’une certaine façon, d’être validées par le Vatican en la personne de Mgr Paglia, président du Conseil pontifical pour la famille. C’est peut-être le tournant de notre combat, qui nous fera triompher.
MC. Pour ceux de nos lecteurs qui ne sont pas abonnés aussi à L’Osservatore Romano, il a dit quoi, ce Monseigneur ?
FB. Mgr Paglia, après avoir rappelé la nature indéfectible du mariage homme/femme (H/F, comme sur les tracts de la « Manif pour tous » !), et dénoncé en même temps les pays où l’homosexualité est encore un délit, a expliqué que les unions hors mariage − comprendre donc, aussi, les unions homos − doivent se voir proposer par les gouvernants des « solutions de droit privé » et aménager des « perspectives patrimoniales » dans leur vie de couple. J’y vois moi un imprimatur de notre ligne « pour le seul mariage H/F et contre l’homophobie », et sans doute le tournant de notre combat en France.
JL. Et c’est dans le cadre de votre lutte contre l’homophobie qu’un des dirigeants de la « Manif pour tous », votre ami Tugdual Derville, a comparé les homosexuels aux trisomiques ?
FB. Il a dit que les handicapés mentaux, eux non plus, ne pouvaient pas se marier (ce dont je doute s’ils sont sous tutelle) et que la société devait savoir réguler les désirs individuels (ce dont je ne doute pas du tout). Je connais Tugdual : sous la pression de notre combat, il a eu une expression maladroite en accolant une phrase sur les homosexuels à une autre sur les handicapés. Mais il n’a pas l’once d’un gramme d’homophobie : il a d’ailleurs sympathisé – mais pas trop ! – avec Nicolas Gouguin. Il est le premier à répéter que les homos ne sont ni des malades ni des handicapés, ce sont des frères ! Ils sont donnés et aimés par Dieu comme vous et moi.
MC. Plus qu’une dérive homophobe dont je ne saurais te soupçonner, vu qu’on écume ensemble depuis vingt-cinq ans les boites gays, ne crains-tu pas une « gnangnantisation » de votre mouvement ?
FB. Je suis consciente du côté « gnangan » d’une partie des slogans « papa-maman » du début. C’est pour cela que je suis arrivée avec mon Code civil et la promesse irréductible que nous sommes « tous nés d’un homme et d’une femme » ! Les premiers happenings de Vita ont été détournés par les LGBT, qui rentraient facilement dans le public non averti avec leur provocation. Cela a surtout provoqué le célèbre « baiser de Marseille » où deux jeunes filles même pas homo se faisaient un smack devant des dames horrifiées. Depuis cet épisode malheureux, j’ai retenu la leçon de l’erreur de mes amis et ai développé toute une réflexion pour appeler les « cathos » à mettre les points sur les « i » et donc à défiler très explicitement contre l’homophobie. Je pense qu’à la « Manif pour tous », nous faisons plus dans la pédagogie sur l’homosexualité et contre l’homophobie que toutes les « Lignes Azur » de M. Peillon ! Le 17 novembre, nous avons levé la présomption d’homophobie qui terrorisait les Français ; le 13 janvier, 1,2 million d’entre eux, joyeux et déterminés à aimer mieux les homos en préservant le mariage républicain, se sont mis à marcher dans le froid et la pluie. Le 24 mars, jour des Rameaux, soutenus par une large frange du peuple de gauche et des homosexuels, nous ferons tomber à la face du monde, le mensonge du « mariage homo pour tous » !
MC. Un message personnel pour les gens de gauche, sans qui ta prochaine « Manif pour tous » du 24 mars n’en sera pas vraiment une ?
FB. Nous sommes dans un combat idéologique contre le libertarisme individualiste, porté par les ultra-feministes du « genre ». Ce n’est pas une lutte politique ou frontale contre le gouvernement de mon cher François Hollande, et c’est pour cela que nous allons gagner : même si Caroline Fourest me diabolise volontiers, je débats avec elle dans l’amour, la vérité et la charité.
MC. Comme toi, le Premier ministre britannique, David Cameron, se dit attaché à la famille et aux traditions. Mais il se prononce pour le mariage gay parce qu’il souhaite élargir l’institution conservatrice du mariage. Pas con, non?
FB. On peut dire tout et son contraire. Aujourd’hui, par exemple, il faudrait tuer les vieux au nom de la dignité. Au nom de l’égalité, on revient à l’inégalité première : ne pas connaître tous ses parents. C’est une inversion totale des valeurs, un comportement plus réactionnaire que conservateur.
JL. La logique voudrait que votre mouvement prenne un jour une dimension politique, par exemple sur le modèle italien du néo-populiste Beppe Grillo − qui est d’ailleurs une sorte de collègue à vous puisqu’il a commencé sa carrière dans la satire politique, avant de réunir des millions de citoyens en colère autour de son « Vaffanculo day » (« Journée Va te faire foutre ! »)
FB. Il faudra peut-être adapter le mot d’ordre ! Plus sérieusement, tout dépend de ce qu’on entend par « politique ». Si notre mouvement devient une force capable d’influencer les partis institutionnels, pourquoi pas ? Les Français en décideront. C’est ce qui s’est passé avec la « Manif pour tous » qui répondait à un vrai besoin du peuple. Et chez nous aussi, le peuple a horreur du vide.
MC. Toi ou d’autres leaders du mouvement, accepteriez-vous de vous présenter aux Européennes de 2014, par exemple avec l’UMP ?
FB. Ils ont bien Franck Riester, à l’UMP, pourquoi pas moi ? (rires) J’y mettrais juste une petite condition pour mes camarades et, le cas échéant, pour moi-même : un statut garantissant notre entière liberté de parole, genre « rattachée administrativement » ou « non-inscrite » ! Sur cette base, je pense que nous devrions examiner d’ailleurs aussi favorablement toutes propositions émanant de l’UDI, du MoDem, pourquoi pas, du PS… Mais faut pas rêver ! En tout cas, pas question pour moi de me laisser embrigader dans un parti : quelque chose de totalement nouveau s’est levé, qui ne se laissera pas diluer dans de vieux machins ! Venez et voyez : à Paris, le peuple pacifique vous le prouvera en masse le 24 mars ! C’est cette fois ou jamais ![/access]
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