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Mariage gay : Les droits contre le Droit


Mariage gay : Les droits contre le Droit

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Le projet de loi « ouvrant le mariage aux couples de même sexe » annonce un bouleversement des fondements anthropologiques du droit et de la société française, remettant en cause, au passage, plusieurs principes constitutionnels. Il nécessite donc l’intervention du pouvoir constituant, seul apte à changer à un tel degré le « contrat social » des Français.

Un méta-principe du droit français

La Déclaration de 1789, comme le Préambule de 1946 et les articles de la Constitution de 1958, sont silencieux sur le mariage. La condition d’altérité sexuelle, absolument évidente aux yeux des auteurs de ces textes, n’y est donc pas mentionnée. Néanmoins, le Préambule de 1946, auquel celui de 1958 fait référence, proclame que le peuple français « réaffirme solennellement les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », et le Conseil constitutionnel reconnaît une nature normative à ces principes depuis sa fameuse décision du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association. Il s’agit de principes présentant un caractère fondamental, réaffirmés de façon constante par les lois sous les régimes républicains qui se sont succédé depuis 1792 jusqu’en 1946.

Or,  le principe selon lequel le mariage désigne l’union d’un homme et d’une femme est assurément le plus « fondamental », au sens fort du terme, de tous les principes du droit civil français. Toutes les lois civiles régissant le mariage, ses conditions, ses effets ou sa dissolution, qui se sont succédé depuis 1792 jusqu’à 1946 et jusqu’à nos jours, n’ont conçu le mariage qu’entre un homme et une femme, qu’il s’agisse de la  déclaration des parties qu’elles veulent « se prendre pour mari et femme », de l’âge nubile (initialement fixé à la puberté : 15 ans pour les hommes et 13 ans pour les filles), des prohibitions consanguines (entre frère et sœur, oncle et nièce, tante et neveu), de l’adultère ou encore de la contribution aux charges du ménage.[access capability= »lire_inedits »]

Les lois constitutionnelles, elles-mêmes, sont sans ambiguïté à cet égard. Avant l’adoption du suffrage féminin en 1944, les textes constitutionnels relatifs à la citoyenneté sont clairs : l’article 4 de la Constitution de l’an I (1793) dispose que tout étranger de 21 ans qui « épouse une Française » est admis à l’exercice des droits de citoyen français ; l’article 10 de la Constitution de l’an III (1795) dispose que l’étranger devient citoyen français « […] pourvu qu’il y ait épousé une femme française ».

Il ne fait donc absolument aucun doute que le principe selon lequel le mariage désigne l’union d’un homme et d’une femme est un méta-principe du droit français, au cœur de la « tradition républicaine » et inhérent à notre « identité constitutionnelle ». En conséquence, seule une révision constitutionnelle peut y déroger.

Contre le droit à l’enfant, le droit de l’enfant

Concernant la possibilité d’adoption par des partenaires invertis et leur éventuelle éligibilité aux techniques de procréation assistée, il est clair que l’alinéa 10 du Préambule de 1946 selon lequel « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », ainsi que l’alinéa 11, qui garantit « à tous, notamment à l’enfant et à la mère […] la protection de la santé et la sécurité matérielle », visent la famille nucléaire composée de père, mère et enfants. La remise en cause du « droit de tout enfant à une vie familiale normale » nécessite aussi une révision constitutionnelle.

La Charte de l’ONU du 20 novembre 1989 sur les droits de l’enfant renforce ces dispositions constitutionnelles en stipulant que la famille est « l’unité fondamentale de la société et le milieu naturel pour la croissance et le bien-être de tous ses membres et en particulier les enfants ». Elle consacre, en conséquence, le droit de l’enfant d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt.

En outre, dans sa décision dite « bioéthique », rendue en 1994, qui valide la procréation médicale assistée, le Conseil constitutionnel s’est appuyé sur un certain nombre de précautions prises par le législateur : l’assistance médicale doit avoir pour objet de remédier à une infertilité dont le caractère pathologique a été médicalement diagnostiqué. Or, l’impossibilité pour deux hommes et deux femmes de procréer ensemble est évidemment inhérente à la nature même et ne constitue nullement une  stérilité pathologique médicalement constatable. Quant au procédé des mères porteuses, qui pourrait faire l’objet d’un amendement complémentaire au nom de l’égalité entre les partenaires homosexuels féminins et masculins, il est évidemment contraire au principe de la dignité de la personne humaine que le Conseil constitutionnel déduit également du Préambule de la Constitution qui condamne « les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine ».

Les goûts sexuels des individus relèvent de la liberté (droit de) mais non d’une créance sociale (droit à) : non seulement il n’existe pas plus de droit à l’enfant que de droit à la fourniture de sperme ou à la location d’utérus, surtout par ceux-là mêmes dont on repousse précisément le contact sexuel, mais une telle aliénation de l’homme par l’homme heurte de plein fouet la philosophie humaniste inscrite dans la Constitution.

La hiérarchie des normes et l’exigence démocratique

Le texte annoncé n’est pas « seulement » contraire à notre droit positif : il va à l’encontre de la doctrine du constitutionnalisme moderne qui veut que les éléments essentiels d’un régime politique ou du contrat social d’une société donnée ne puissent être remis en cause que par l’organe investi du pouvoir constituant. En effet, en estimant que le projet de loi touchait à la « liberté de conscience » des maires de France, le Président de la République a implicitement reconnu qu’il s’agissait bien d’un choix de société absolument fondamental. Or, si l’article 89 de la Constitution permet indifféremment de soumettre un projet de révision constitutionnelle au référendum ou au Congrès, sa rédaction, qui fait du référendum le principe et du Congrès l’exception, montre bien que le général de Gaulle, comme René Capitant, n’ont conçu la révision parlementaire que pour les réformes portant sur des points mineurs de notre charte fondamentale, le consentement populaire s’imposant pour les révisions touchant à l’essentiel.

Le Conseil constitutionnel devrait donc logiquement juger que le projet de loi en cause nécessite une révision constitutionnelle préalable, que le Président de la République aurait le devoir démocratique de soumettre au référendum. Les militants homosexuels qui se félicitent de sondages favorables ne devraient rien avoir à craindre d’un référendum constituant et s’honorer, au contraire, de voir leurs unions consacrées par l’onction du suffrage universel et gravées dans le marbre constitutionnel.

Encore faudrait-il, cependant, que la pression et l’intimidation qu’ils font peser sur les membres du Conseil ne le dissuadent pas de statuer objectivement et que les trois remplacements qui doivent intervenir prochainement au palais Montpensier ne soient pas effectués dans l’unique but d’orienter ses décisions dans un sens favorable aux thèses gouvernementales.

Le professeur Jean Rivero avait résumé la politique jurisprudentielle d’autolimitation du Conseil constitutionnel sur les grandes questions par un proverbe arabe : « Filtrer le moustique et laisser passer le chameau. » Il est possible, en effet, que face à l’énorme bosse que constitue le projet de loi en cause, le Conseil soit tenté d’esquiver son contrôle par une décision en forme de « Courage, fuyons ! ».[/access]

*Photo : K_rho.

Janvier 2013 . N°55

Article extrait du Magazine Causeur



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Juriste spécialiste de droit constitutionnel, professeur de droit public à l’Université de Rennes I

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