Accueil Société Mariage gay : comment ne pas dire oui ?

Mariage gay : comment ne pas dire oui ?


Mariage gay : comment ne pas dire oui ?

Pourquoi l'Eglise catholique devrait accepter le mariage civil gay

Quel que soit le regard que l’on porte sur le régime politique actuel, on ne saurait être sérieusement scandalisé par l’adoption prochaine d’une loi autorisant le mariage homosexuel. En toute logique, on n’a en effet le choix qu’entre deux hypothèses : soit l’on admet la légitimité globale de ce système, soit on ne la reconnaît pas. C’est un peu comme dans l’ordre religieux : on a la foi ou pas, on est croyant ou agnostique.

Si l’on se trouve dans la première hypothèse, si l’on considère la démocratie contemporaine comme légitime, comme un gouvernement de droit auquel on se doit d’obéir en toute conscience et sans arrière-pensée, alors la légalisation d’un tel mariage ne saurait être contestée.
Au regard du principe démocratique, en effet, rien n’interdit qu’on l’admette. D’autant moins que la démocratie, la démocratie pure, telle qu’elle se trouve formulée par Rousseau, se caractérise par le fait que le souverain ne connaît aucune autre limite que sa propre volonté.[access capability= »lire_inedits »] Elle est auto-normée, ce qui signifie qu’aucune règle extérieure, naturelle, morale ou religieuse, ne saurait la restreindre ni la contraindre. Tous les étudiants en droit connaissent la fameuse remarque selon laquelle « le Parlement anglais peut tout faire sauf changer un homme en femme, et une femme en homme ». Sans même parler des progrès de la génétique et de l’avènement du transgenre, on pourrait dire que le souverain, en démocratie, n’est même pas tenu par cette limitation : il pourrait parfaitement décider qu’un homme est une femme, et vice versa, en vertu d’une fiction juridique dont il aurait toute latitude de déterminer la portée. La démocratie − et c’est d’ailleurs ce qui a suscité de longue date la méfiance de certains libéraux comme Daniel Halévy − est par définition un système où le pouvoir est illimité : d’autant que si l’on revient à Rousseau, les décisions de ce pouvoir, procédant de la Volonté générale, sont toujours telles qu’elles doivent être, et que l’on n’est libre qu’en y obéissant. Qui reconnaît sérieusement la légitimité d’un tel système devra donc, le cas échéant, admettre aussi la validité de la législation relative au mariage homosexuel − de même qu’il avait reconnu naguère celle qui autorisait l’avortement, et qu’il admettra demain celles qui légaliseront l’euthanasie, le clonage, etc. Le souverain n’est tenu, dans ce cadre, ni par des traditions ou des coutumes, ni par des principes moraux qui s’imposeraient à lui, ni par un quelconque droit naturel, aussi longtemps du moins qu’il n’en a pas reconnu l’existence en l’intégrant dans une loi en bonne et due forme. Il n’est limité que par le droit positif, c’est-à-dire par l’expression de sa volonté du moment : en l’occurrence, aucune norme, même constitutionnelle, n’empêche un tel mariage − et si tel était le cas, il lui suffirait de réviser la Constitution.

Mais allons plus loin : non seulement rien ne l’empêche, mais au fond, tout y conduit − et d’abord la règle cardinale de la démocratie, l’article premier de son Décalogue, le principe d’égalité. En vertu de ce dernier, chacun dispose des mêmes droits que les autres, ce qui implique que deux personnes placées dans des situations comparables ne sauraient être traitées différemment. D’où l’on doit déduire que tout individu ayant atteint l’âge légal a un droit égal au mariage, de même que chacun aura le droit de vote, qu’il soit prix Nobel ou analphabète, docteur en sciences politiques ou aliéné interné dans un établissement psychiatrique (l’un n’empêchant pas l’autre, il est vrai). Au nom de quoi ferait-on prévaloir, sur cette égalité inscrite au fronton républicain de toutes les mairies de France, une règle de droit naturel, une coutume, si immémoriale et universelle soit-elle, ou un précepte moral, quel qu’il soit, n’ayant pas été expressément validé de façon démocratique ? Si l’on ajoute à cela la définition de la liberté individuelle figurant à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (« La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui »), l’évolution des mœurs conçue comme nécessairement progressive et la pression croissante de l’opinion publique, on doit constater qu’il n’y a plus rien à dire. Un démocrate conséquent ne saurait sérieusement s’y opposer.

Et l’on arrive à la seconde hypothèse − visant quelqu’un qui refuserait toute légitimité à ce système. L’agnostique qui n’y verrait qu’un gouvernement de fait s’imposant à lui par la force, et auquel il ne se soumettrait que dans son for externe, sans lui reconnaître le moindre droit à être obéi. Ce qui nous amène au paradoxe qui nous intéresse ici : cet antidémocrate conséquent, antithèse exacte de la figure que l’on vient d’évoquer, ne saurait, lui non plus, se scandaliser de cette légalisation du mariage homosexuel.
Cette nouvelle loi ne fera, au fond, que conforter à ses yeux l’illégitimité foncière du système, confirmant son opposition à l’ordre naturel en vertu duquel le mariage ne devrait sanctionner que l’union de deux personnes en vue de la procréation − et non un quelconque rapport amoureux qui, demain ou la semaine prochaine, pourrait tout aussi bien unir un père et sa fille, un frère et sa sœur, une grand-mère et sa petite fille, etc. Notre antidémocrate conséquent y verra une preuve supplémentaire de ce que ce système ne connaît pas de limites, et qu’avec lui, tout est possible. Mais par ailleurs, il lui sera indifférent qu’une telle loi, si exécrable soit-elle à ses yeux, soit adoptée par un tel système : car si ce dernier est illégitime, sa loi n’a pas plus de sens ni de valeur que le commandement d’un tyran ou la lubie d’un despote. Les chrétiens des premiers siècles ne s’offusquaient pas de ce que Néron, Caracalla ou Héliogabale prétendissent épouser leurs étalons, leurs sœurs, ou l’esclave le mieux membré de l’Empire. Le fait d’utiliser le terme « mariage » et d’en faire une « loi » n’y change rien, puisqu’il ne s’agit que de mots.

Longtemps, les catholiques français qui voulaient se marier ne sont allés devant le maire qu’à contrecœur, à reculons ou, au mieux, sans accorder à ce « mariage civil » la moindre espèce d’importance. Ils y étaient contraints sous peine de sanctions pénales, voilà tout. Par suite, ils n’auraient pas été choqués que cette formalité disparaisse, ou qu’on modifie sa dénomination, ou que l’on étende démesurément son champ d’application. Si, aujourd’hui, ils sont mortifiés, alors même que chacun connaît l’instabilité de la loi et la tendance générale de la législation, c’est parce qu’ils ne savent plus vraiment où ils en sont, et qu’ils persistent à considérer comme légitime un régime qui les laisse vivre mais prend le contre-pied de toutes leurs valeurs, et qui le fera de plus en plus. Et parce qu’en le reconnaissant pour légitime, ils acceptent du même coup d’endosser la responsabilité de ses décisions et d’être, en tant qu’ils participent à la souveraineté, les auteurs de la législation que par ailleurs ils condamnent de toutes leurs forces. « On ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre », enseigne la sagesse populaire. S’ils envisageaient sérieusement la question du politique, de ses rapports avec l’éthique et la loi naturelle, sans doute les catholiques français pourraient-ils considérer différemment, eux aussi, la vraisemblable légalisation du mariage homosexuel.[/access]

Septembre 2012 . N°51

Article extrait du Magazine Causeur



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Les islamistes ne sont pas innocents
Article suivant Rentrée littéraire : les prix que j’attribuerais
est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Pour laisser un commentaire sur un article, nous vous invitons à créer un compte Disqus ci-dessous (bouton S'identifier) ou à vous connecter avec votre compte existant.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération