« Elle n’a pas eu de chance », disait d’elle son amie et bonne fée Brigitte Bardot. Maria Schneider demeure aux yeux et à la mémoire de tous la jeune fille du Dernier Tango à Paris (1972), victime des assauts de Marlon Brando sous le regard complice de Bernardo Bertolucci. À vrai dire, il y a eu deux Tango.
« Maria s’en fout »
Le premier, révélateur de la beauté et de la sauvagerie sensuelle de Maria, a fait exploser sa carrière et sa vie. Elle sombre dans l’héroïne aussitôt après la sortie, encaisse les injures, les crachats, l’interdiction du film aux moins de dix-huit ans.
Le second est né à la fin de l’année 2016. L’actrice a disparu quelques années auparavant, elle devient le symbole des violences sexuelles faites aux femmes. La scène du « beurre » fait la Une de Elle, Maria est citée en martyre par la reine de Hollywood Jessica Chastain, un peu avant que la parole des femmes, dans le monde du cinéma, mais pas seulement, ne se libère pas, mais explose.
Maria Schneider, fille illégitime de la star Daniel Gélin, avait dix-neuf ans, était mineure, quand sa mère l’autorisa à signer son contrat pour Le Dernier Tango à Paris. Un premier rôle avec Brando ne se refuse pas, surtout pour une jolie fille mal aimée qui cherchait avant tout les regards sur les plateaux de cinéma. Imprudente, trop bavarde avec les journalistes, insolente, indomptable, brisée à jamais, « Maria s’en fout ». « Il vaut mieux être belle et rebelle que moche et remoche. » Elle ne s’attache à rien ni personne, ni hommes, ni femmes, à part sa dernière compagne qui partagea avec elle ses derniers instants et ses dernières coupes de champagne.
« Le Tango a dévoré le reste de (sa) filmographie »
Tu t’appelais Maria Schneider est le portrait affectueux de Maria vue par sa cousine à travers des yeux d’enfants. Un contre-pied affectueux, étonnant, caressant. « Ce que raconte Maria ne peut être dit par personne d’autre », raconte Vanessa Schneider, qui voyait sa cousine en proie à des crises de manque terrifiantes sur le canapé du salon familial, entre des effigies de Mao et des copains fumeurs d’herbe. « Nous sommes d’une famille où l’on ne cache rien aux enfants, surtout ce qu’ils ne devraient jamais savoir. » Tant pis pour les enfants, tant mieux pour la littérature. L’enfance de Vanessa Schneider est heureuse mais chaotique, tiraillée par l’impression de n’être « pas comme les autres », « pas comme il faut », les frasques de Maria constituant le pompon pour le qu’en-dira-t-on et le regard des voisins.
Maria Schneider, pourtant, ce n’est pas qu’une scène de viol que Brando regrettait. Dans La Baby-Sitter de René Clément, dans Profession : reporter d’Antonioni, dans Merry-Go-Round de Jacques Rivette, dans une cinquantaine d’autres films, elle était là. Mais « Le Tango a dévoré le reste de (sa) filmographie ».
Six ans après la mort de Maria, emportée par un cancer des poumons, cadeau de son addiction à la nicotine, Vanessa Schneider offre un récit sobre, pudique mais juste, adressé à sa cousine d’un affectueux « tu ».
En 2017, au MoMa, l’exposition de Nan Goldin intitulée The Ballad of Sexual Dependency faisait sa place à Maria Schneider, toute habillée, cheveux en bataille, regard fier.
Pour Bertolucci, en revanche, qu’elle a feint de ne pas connaître lorsqu’elle l’a revu fortuitement au Japon (« je ne connais pas cet homme »), Maria Schneider demeure un « dommage collatéral » de l’art. Toute une époque.
Vanessa Schneider, Tu t’appelais Maria Schneider – Grasset, 249 pages.
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