« Memento Marengo » de l’artiste Pascal Convert, reconstitution 3D du cheval de Napoléon, est suspendue au-dessus du tombeau de l’Empereur. L’œuvre suscite la controverse. Thierry Lentz, directeur de la Fondation Napoléon déplore: « réhumaniser Napoléon en suspendant un squelette de cheval en plastique au-dessus de son tombeau ! On rêve… ». Une pétition « Non à la profanation du tombeau de l’Empereur Napoléon Ier » a également été lancée, demandant le retrait de l’œuvre controversée.
La controverse en France autour du squelette en plastique du cheval Marengo, qu’on a très maladroitement suspendu au-dessus de la tombe de Napoléon aux Invalides, n’a rien à voir avec un prétendu art moderne mais plutôt avec une crise d’identité nationale qui domine le débat public en France. Paradoxalement, le mauvais goût de l’artiste nous a rendu un grand service en nous rappelant la fantastique histoire de ce cheval.
Il s’agit en effet d’un cheval égyptien. L’histoire de la campagne d’Égypte (1798-1801) ne fut pas seulement une histoire d’hommes et de batailles mais aussi une histoire de chameaux et de chevaux. On reviendra un jour sur la place des camélidés dans l’histoire de l’armée d’Orient. On s’intéresse aujourd’hui à leurs cousins les équidés et en particulier à ce cheval, Marengo, qui s’est invité dans la polémique de salon parisien autour du bicentenaire de la mort de Napoléon.
Dans le haras impérial plusieurs chevaux étaient égyptiens et portaient des noms rappelant leur origine : Cléopâtre, Effendi, Suez, Aboukir, Aly, Sultan etc. Seul Marengo est entré dans l’histoire, pourquoi ?
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L’histoire de ce cheval réunit parfaitement les deux visages de l’histoire napoléonienne: le général et l’empereur. Elle réunit aussi les deux mondes dans lesquels se tissait l’épopée du grand homme: l’Orient et l’Occident. Marengo est entré dans la légende dans les derniers jours de Bonaparte en Égypte lors de la bataille terrestre d’Aboukir (alors bourgade alexandrine) le 25 juillet 1799, jour où Bonaparte a écrasé l’armée ottomane. On sait combien Bonaparte avait besoin de cette victoire pour venger le désastre d’Aboukir où toute sa flotte avait été anéantie par Nelson et pour pouvoir rentrer en France la tête haute avec les trophées de cette belle bataille. Ainsi, nous avons aujourd’hui la rue d’Aboukir dans Paris. C’est lors de cette glorieuse journée que le cheval fut capturé et présenté au général en chef. Coup de foudre entre Bonaparte vainqueur et le cheval. Dans les jours suivants, on préparait très discrètement le retour en France de Bonaparte avec les plus fidèles de ses collaborateurs et, surtout, le cheval d’Aboukir.
En route, le cheval qui portait jusqu’à nouvel ordre le nom d’Aboukir, changera de nom pendant la première bataille glorieuse de Bonaparte en Europe, Marengo (14 juin 1800). Il continuera alors de jouer les mascottes aux yeux de Bonaparte qui lui donne alors le nom de Marengo. Une fois devenu empereur, Napoléon fit de Marengo sa monture de guerre préférée. De victoire en victoire, ce cheval qui était capable de galoper à jeun pendant cinq heures, fut un entier. On croyait qu’il sortait des haras du légendaire sultan mamelouk Al-Nasser Qalaoun (le Caire 1285-1341). « Al-Nasser », qui veut dire « le vainqueur » en arabe, a bâti un empire dans tout le Moyen-Orient après avoir écrasé et chassé tour à tour les Mongols, les Croisés, et autres hordes locales en Arabie et au Yémen. Ce grand sultan, dont l’architecture brille encore dans le Vieux Caire, fut un passionné pathétique de chevaux. On raconte qu’il avait un harem de deux mille femmes et un haras de deux mille chevaux. Son historien et vétérinaire Abou Bakr Ibn Beder (1309-1340) a écrit en hommage à son maître Al-Nasser, hippologie et médecine de cheval en terre d’islam qui fut traduit en français par M. Perron en 1852. Ibn Beder appelait le haras du sultan « Al-Nasseria » qui s’est perpétué en Égypte. Les chevaux de haute qualité qui sortaient de ce haras portaient alors la marque Al-Nasseri jusqu’au XVIIIème siècle, d’où la référence des historiens français à Al-Nasseri chaque fois qu’il est question du cheval Marengo.
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Malheureusement, comme dans le monde des humains, les grands chevaux ont souvent des fins tragiques. À Waterloo, Marengo avait déjà 22 ans et portait des stigmates de toutes les guerres napoléoniennes. Il fut capturé par les Anglais, amené en Angleterre avec le même empressement avec lequel ils avaient emmené la pierre de Rosette à Londres. Les Anglais ont mis la précieuse Pierre au British Museum et le cheval de Napoléon a fait l’objet de plusieurs ventes jusqu’à sa mort en 1831. On raconte que Mohamed Ali d’Égypte, en admirateur de Napoléon, a voulu acheter le cheval, mais les Anglais n’ont pas accepté de peur que le cheval ne soit détourné en France. Son squelette est exposé au National Museum de l’Académie royale militaire de Sundhurst à Chelsea.
Dans cette histoire du bicentenaire et cette volonté politique française de commémorer l’Empereur, je me demande si cette histoire de squelette en plastique posé sur la tombe de Napoléon ne serait qu’une dernière estocade anglaise dans la légende napoléonienne.
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