Selon la formule d’Henry Rousso, Vichy est « un passé qui ne passe pas ». Un nouveau livre – encore un – revient sur ce qui s’est joué à Vichy en juillet 1940 : Voter Pétain ? de François-Marin Fleutot. Il s’en explique dans une excellente et précise interview accordée à Causeur.
De Pétain on ne se lasse pas. Pas plus que des films vus et revus et revus qui évoquent cette intéressante période : La Traversée de Paris, La Vache et le Prisonnier, Papy fait de la résistance, La Grande Vadrouille. C’est que Vichy fait toujours salle comble.
À gauche, on s’en sert pour déplorer le « retour aux heures les plus sombres de notre Histoire », formule servie ad nauseam dès le moindre accroc au politiquement correct. Ça permet aussi des raccourcis sans appel, du genre : « Sarkozy c’est Pétain », ce qui dispense les vociférateurs de penser par eux-mêmes. À l’autre bout du spectre politique, il constitue un élixir de jouvence pour Jean-Marie Le Pen. Ce dernier retrouve – avec émotion, n’en doutons pas – les moments délicieux qu’il a passés sur les genoux de tonton Tixier-Vignancour en ânonnant « Vichy pour les nuls ».
Incontestablement, la France a un problème avec Vichy. Comme on le dit souvent, l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs. Et depuis soixante-dix ans ce sont les vainqueurs – la gauche, l’extrême gauche, avec le renfort indispensable des gaullistes – qui ont dit ce qu’on pouvait dire sur Vichy. Une période noire de notre Histoire. Il arrive que les vainqueurs aient raison…
Mais comme la pensée de gauche de dominante qu’elle était est devenue sclérosée, arrogante et suffisante, la tentation est grande chez certains de ceux qu’elle insupporte de s’attaquer à cet édifice vermoulu. La période de Vichy ouvre à cet égard des perspectives insoupçonnées.
Pour commencer on va y aller mollo. On s’extasiera sur le style (ils en avaient certes) de Drieu, de Marcel Aymé, de Morand et leurs héritiers de l’immédiate après-guerre Jacques Laurent, Blondin, Nimier, Perret. C’est qu’ils écrivaient bien, les bougres ! On versera une larme en lisant les poèmes écrits à Fresnes par Brasillach dans l’attente du peloton d’exécution. Et hop, la gauche se mettra à hurler, ce qui confortera nos irrespectueux Hussards dans leur belle posture de révoltés.
La question juive – élément central de l’idéologie pétainiste – est plus délicate à manier. Mais y toucher est d’un bon rapport qualité-prix. Ainsi, pour son Suicide français, Eric Zemmour s’est transformé en expert-comptable, dénombrant les Juifs « sauvés » par Vichy, bien plus nombreux, selon lui, que ceux qui furent sacrifiés. Sans ça, et sans la polémique qui s’est ensuivie, il n’est pas sûr que son livre eût atteint les tirages qu’il a eus. Un concert d’indignation n’est pas à dédaigner pour booster les ventes. Une autre hypothèse, moins intéressée, est envisageable. Zemmour aurait quelques problèmes avec ses origines (pour ne pas me faire écharper par les zemmouriens de base je m’empresse de préciser qu’elle est de Finkielkraut).
Une précision sur ce point-là. Dans un simple souci de vérité et non pas de polémique. Avant la guerre, le maréchal Pétain avait des amis israélites, « des bons Juifs français » comme il aimait le dire. À ne pas confondre avec les pouilleux débarqués des ghettos d’Europe centrale. Un de ses amis s’appelait Jacques Helbronner. Avec Pétain il avait fait la guerre 14-18 et était devenu un notable important de la IIIe République. Un jour, les Allemands l’arrêtèrent. Un geste de Pétain eût suffi à le sauver ; le maréchal n’en fit rien. Et Helbronner alla à la chambre à gaz comme n’importe quel polak ou moldo-valaque.
Laissons maintenant les Juifs de côté. Vichy est justiciable de bien d’autres infamies. Jamais dans notre Histoire un régime n’avait accepté de livrer au vainqueur des réfugiés politiques. Vichy le fit en offrant aux nazis les exilés antifascistes allemands qui avaient trouvé refuge chez nous : la hache du bourreau les attendait. Pétain procéda de la même façon avec les républicains espagnols. Des gendarmes français les entassèrent par milliers dans des trains en partance pour Buchenwald.
Jamais dans notre Histoire, un régime n’avait fabriqué des lois rétroactives. Après un attentat, les Allemands avaient exigé des représailles. On confectionna à la hâte une loi immonde punissant de mort des activités communistes pour lesquelles des militants purgeaient déjà des peines de prison. On trouva des magistrats serviles qui prononcèrent la peine capitale. La guillotine fit son travail. Comble de l’abjection, Vichy proposa que les exécutions aient lieu en public. Les Allemands, un peu estomaqués quand même, déclinèrent cette offre alléchante. Voilà. Vichy c’était ça. Et le statut des Juifs ne fut que la cerise mise sur un gâteau pourri.
Pour la suite, mais sans trop d’impatience, nous attendons qu’on nous parle enfin des faces oubliées ou tues du maréchal. Ce qu’il a fait pour les femmes à qui il a dédié une fête. Ses lois sociales (il y en a eu) dont certaines sont encore en vigueur aujourd’hui. Dans la même veine on serait en droit d’espérer qu’on vienne nous rappeler les efforts consentis par le chancelier Hitler en faveur des femmes allemandes. Sans oublier les belles autoroutes qu’il a construites. Et la voiture du peuple, la Volkswagen. Manifestement, ça n’en prend pas le chemin. Ils sont bizarres, ces Allemands…
*Photo : SIPAHIOGLU/SIPA. 00224662_000004.
Voter Pétain ?: Députés et sénateurs sous la Collaboration (1940-1944)
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