Marek Halter et Hassan Chalghoumi organisent, depuis le 8 juillet, une « Marche des musulmans contre le terrorisme ». Pour prier dans toute l’Europe sur les lieux des attentats islamistes de ces dernières années.
On connaît les dissensions au sein des instances officielles de l’islam de France, le manque de représentativité supposé de Hassan Chalghoumi, ou les critiques dont Marek Halter a pu faire l’objet. Peu importe.
Quelles que soient les réserves que l’on peut avoir, quelles que soient les polémiques, reconnaissons que cette Marche est une belle initiative, nourrie d’un désir ardent de paix et d’un vrai courage. Elle est le refus de subir, le refus de laisser faire, le refus d’un silence frileux qui serait un abandon. Sans hésiter, elle mérite d’être soutenue – mais pas aveuglément.
De quel islam parle-t-on?
Car la frontière entre la lueur d’espoir et le déni de réalité est parfois mince. Lorsque je lis qu’un des participants, universitaire à Tunis, déclare : « Je suis là pour dire que ces terroristes ne peuvent pas parler en notre nom, que l’islam, c’est la paix. », je m’inquiète.
De quel islam parle-t-on ? De la doctrine, qui est au moins autant projet politique qu’élan spirituel ? Des manières fort diverses dont des civilisations vivent l’islam depuis plus de 1300 ans ? De la construction de l’Alhambra ? Ou de la destruction méthodique de ses trésors historiques par l’Arabie Saoudite ?
De quelle paix, aussi ? La paix sereine de la coexistence de plusieurs religions dans le respect mutuel, ou la paix forcée de la soumission à une croyance qui imposerait sa loi à toutes les autres ?
Quand cet universitaire nous dit « ces terroristes ne peuvent pas parler en notre nom », il a raison. Et il a raison de le dire, il est juste et nécessaire qu’il le dise et que d’autres, les plus nombreux possible, le disent avec lui.
Tous les islams ne sont pas la paix
Mais quand il ajoute « l’islam, c’est la paix », il se trompe. Son islam est sans doute paisible, et respectueux des autres religions. L’islam qu’il pratique, l’islam qui lui a été enseigné, l’islam qui imprègne sa vie. Mais de même que le wahhabisme n’est pas « l’islam », « son islam » n’est pas « l’islam ».
Au moins cet homme est-il probablement sincère, alors qu’on peut s’interroger sur les intentions cachées de Dalil Boubakeur ou Amar Lasfar lorsqu’ils prétendent que : « la religion musulmane ne peut sécréter aucune forme de violence. » A ce stade, le déni ne peut servir que ceux qui veulent avancer masqués !
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Quand le sanctuaire d’Al-Lât à Taëf était détruit au 7ème siècle, n’était-ce pas l’islam ? Quand Khalid ibn al-Walid, le « sabre dégainé de Dieu », écrivait à son ennemi « j’arrive avec des hommes qui aiment la mort comme vous aimez la vie » – phrase reprise ensuite par Mohamed Merah – n’était-ce pas l’islam ? Les enseignements de Mohammed ben Abdelwahhab ou de Sayyid Qutb ne peuvent-ils pas se dire « islam » ?
«Si l’islam n’accepte pas la critique alors il n’a pas sa place dans la société»
Et n’est-ce pas l’islam lorsque le Coran proclame :
« Combattez ceux qui ne croient ni en Allah ni au Jour dernier, qui n’interdisent pas ce qu’Allah et Son messager ont interdit et qui ne professent pas la religion de la vérité, parmi ceux qui ont reçu le Livre, jusqu’à ce qu’ils versent la capitation par leurs propres mains, en état d’humiliation.
Les Juifs disent : « Uzayr est fils d’Allah » et les Chrétiens disent : « Le Christ est fils d’Allah ». Telle est leur parole provenant de leurs bouches. Ils imitent le dire des mécréants avant eux. Qu’Allah les anéantisse ! »
Il n’y a pas un islam, mais des islams. Les crimes des uns ne doivent pas servir à dénigrer les autres, mais la bonne volonté bien réelle de beaucoup de croyants ne doit pas non plus servir à occulter ce qu’il y a de profondément dangereux dans les textes fondateurs.
Au même titre que toute doctrine, toute croyance, les islams doivent se soumettre véritablement à la critique, au lieu de n’y réagir que par l’indignation ou le déni. Comme l’écrit Boualem Sansal : « la critique de l’islam n’est pas une agression contre lui ou contre les musulmans, l’islam ne peut pas, lui seul, être hors du champ de la critique. Si l’islam n’accepte pas la critique alors il n’a pas sa place dans la société. »
Rien à voir avec les juifs des années 1930
A moins que les musulmans eux-mêmes n’extirpent de leurs références communes ce qui peut pousser à la conquête et au totalitarisme, tout ce qui se construira en s’appuyant sur ces références sera vulnérable à l’influence du djihadisme.
Fort heureusement, des hommes et des femmes de grande valeur s’y emploient, et prouvent que parmi les islams, certains sont parfaitement respectables.
De même qu’il faut s’interdire l’aveuglement, mieux vaut éviter les raccourcis hâtifs. J’ai beaucoup d’admiration pour Marek Halter, son Kabbaliste de Prague notamment est en bonne place dans ma bibliothèque, mais il est regrettable qu’il compare la situation des musulmans en Occident, aujourd’hui, à celle des juifs dans les années 1930. Cette association ne tient pas.
Bien sûr, l’attitude de certains occidentaux face à nos concitoyens musulmans est loin d’être irréprochable. C’est aussi l’un des enjeux de la prise de conscience de l’existence de plusieurs islams : tous les accueillir serait suicidaire, mais tous les rejeter en bloc serait absurde. Il est urgent d’apprendre à les distinguer, d’intégrer pleinement et pas seulement du bout des lèvres ceux qui acceptent nos valeurs fondamentales, et de combattre sans faiblesse la propagation des autres.
Aucune persécution
Toutefois, et sans nier les cas trop nombreux de racisme ou de discriminations infondées, n’oublions pas que les musulmans d’Occident y ont d’avantage de droits, une vie plus aisée et plus d’opportunités qu’ils n’en auraient dans la plupart des pays dont l’islam est la religion dominante ! Difficile d’y voir sincèrement les prémisses d’une persécution.
En outre, l’Occident n’est pas une bulle isolée sur la planète. Y avait-il dans les années 1930 un pays dont le judaïsme aurait été la religion officielle et qui aurait piétiné les droits des Gentils comme certains pays musulmans piétinent aujourd’hui les droits des non-musulmans ? Y avait-il un équivalent juif de l’Etat islamique ou d’Al Qaïda ?
Un double des Frères musulmans, dont l’un des articles de foi est : « Je crois que le musulman a le devoir de faire revivre l’Islam par la renaissance de ses différents peuples, par le retour de sa législation propre, et que la bannière de l’Islam doit couvrir le genre humain et que chaque musulman a pour mission d’éduquer le monde selon les principes de l’Islam. Et je promets de combattre pour accomplir cette mission tant que je vivrai et de sacrifier pour cela tout ce que je possède. » (cité par Malek Chebel dans Changer l’islam, article Al Banna Hassan ibn Ahmad ibn ‘Abd al-Rahman)
Contrairement aux tristement célèbres « protocoles des sages de Sion », ce n’est malheureusement pas un faux !
La solution doit venir des musulmans
Enfin, rappelons que l’islam n’est présent pacifiquement en Europe que depuis peu, alors que les communautés juives n’ont jamais tenté de la conquérir mais y vivaient déjà avant l’ère chrétienne. Le judaïsme est « religio licita » depuis César, et Auguste faisait lire dans les rues de Rome des maximes de Hillel l’Ancien.
Face au djihadisme et à la menace majeure de l’islam politique, la solution à long terme ne peut venir que de l’intérieur du monde musulman, mais elle passe par un travail critique, sans doute difficile et douloureux, mais indispensable.
Si la « Marche des musulmans contre le terrorisme » sert à nourrir le déni, à dire que « l’islam est une religion de paix et de tolérance », elle ne sera qu’une fuite.
Mais si elle permet d’affirmer et de prouver que l’islam peut être une religion de paix, que l’islam peut devenir une religion de tolérance, alors cette marche ira au-delà des bons sentiments et sera une très belle source d’espoir.
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