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Latin lover, malgré lui

Une exposition sur le monstre sacré du cinéma italien


Latin lover, malgré lui
Sophia Lauren et Marcello Mastroianni dans "Mariage à l'italienne" (1964) © FRONTONI/SIPA

Encore quelques jours pour célébrer les 25 ans de la disparition de Marcello Mastroianni (1924-1996) à l’Institut Lumière de Lyon!


Il ne s’aimait guère, physiquement il se trouvait banal. Le visage harmonieux quoique les lèvres un peu trop charnues, à son goût. Mais surtout, ses jambes désespérément maigrelettes lui donnaient des complexes. C’était donc ça, le séducteur italien auréolé d’une gloire babylonienne, lymphatique et désinvolte, loser au charme fou et absent lumineux, fumeur frénétique et mauvais garnement entraîné par son vieux complice Fellini dans des blagues de cour de récréation.

Plus de 160 films

Comment cet Italien aux origines modestes est-il devenu un sex-symbol d’exportation ? Le produit d’appel d’une Italie en pleine expansion économique. L’interprète d’œuvres majeures : « Le Pigeon », « Le Bel Antonio », « Divorce à l’italienne », « Huit et demi », « La Grande Bouffe », « Une journée particulière », etc… Tous les témoignages concordent, sa normalité était un signe distinctif dans une profession aux égos vibrionnants. Sa gentillesse, une anomalie. Son refus du conflit, une marque d’indifférence. Personne ne lui a résisté en plus de 160 films. Seule Paola Pitagora n’a pas succombé à son doux regard d’enfant. « Je pense qu’il ne donne rien aux autres parce qu’il n’a rien à donner » a-t-elle, un jour, déclaré. On reproche souvent aux grands acteurs d’être des coquilles vides, éponges qui se mettent seulement en mouvement au mot « Moteur ! ». Entre deux films, en dehors des plateaux, les stars traînent une insondable mélancolie, comme si la vraie vie n’était qu’un long chemin de croix.

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Adopté par tout un peuple

Marcello a d’abord été adopté par tout un peuple grâce à ses rôles d’hommes quelconques et simples : chauffeur de taxi, inconnu dans la foule, amoureux pitoyable et fils aimant. Et puis vint « La Dolce Vita » et ce cri lancé de la fontaine de Trevi « Marcello, come here ! » par une montagne suédoise de désir. Entre Anita Ekberg et Anouk Aimée, Marcello patauge alors dans la fausse lumière des nuits romaines. Formé dans la troupe de Visconti au théâtre durant dix ans, il ne s’imaginait pas en haut de l’affiche. Quand on lui demandait quelle était la plus grande qualité pour devenir acteur, mi-goguenard mi-pensif, il répondait : « Une grande patience avant tout ! ». Des milliers de fois, au cours d’interviews, il a raconté comment Federico l’avait choisi pour ce rôle de journaliste noctambule. La production se dirigeait vers un Paul Newman qui se révélait un peu trop coûteux à l’usage. Fellini trancha. « Je vous ai choisi parce que vous avez une gueule anonyme » lui balança-t-il, avec son sens rigolard de l’hyperbole. Ces deux-là ne se quittèrent plus pendant les quatre décennies qui suivirent. Une gueule anonyme ? « En 1932 il avait vingt-six ans, et ses photographies, exposées Place d’Espagne, arrêtaient même la femme entre deux âges, chargée de paquets, qui tirait, de la même main dont elle venait de le corriger, un marmot tout en pleurs ». Cet extrait du Bel Antonio, roman de Brancati publié en 1949 et adapté par Bolognini au cinéma en 1960 semble prémonitoirement coller à l’image de Marcello. Jamais divorcé, il ne fut l’époux que d’une femme. Si ses conquêtes exagérées ou non par la presse à scandale lui assurèrent une renommée planétaire et la convoitise des studios d’Hollywood, il ne désira pas s’enfermer dans cette prison dorée, préférant parfois des tournages mineurs.

Couple de fiction

Avec Marcello et Fellini, la réalité et le cinéma forment un tout aux frontières floues. Imperméable à l’esprit de sérieux, leur mémoire n’en demeure que plus vive. Celui à qui on prêtait tant d’aventures, fut souvent quitté par les femmes qu’il aimait : l’aristocrate Silvana Mangano, amour de jeunesse corrosif, ou plus tard Faye Dunaway et Catherine Deneuve. Une seule lui resta fidèle en amitié et en complicité. Sophia Loren, sa partenaire chérie et véritable patronne du cinéma italien. Leur couple de fiction est notre madeleine de Proust. Il vous reste donc encore quelques jours pour profiter d’une rétrospective à l’Institut Lumière de Lyon (visionnage, conférence, exposition, etc…). Fin 2021, nous avons célébré les vingt-cinq ans de sa disparition. Que sa distance chaleureuse nous manque ! Marcello aimait les voitures de luxe, les beaux vêtements, les boulettes de sa mère et ses filles. Comme François Sagan, il ne calculait pas l’existence, n’intellectualisait pas le quotidien. « Moralité : j’ai toujours tout dépensé. J’aurais pu employer cet argent à des choses plus nobles, en aidant les pauvres : mais ça ne m’est pas même venu à l’esprit. Et je ne suis pas radin, au contraire. Mon avocat dit que j’ai les mains percées ». Un Saint homme !




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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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