Marcello Mastroianni, l’acteur légendaire de La Dolce Vita et Huit et demi, ne peut pas être réduit à l’image d’un simple « Latin lover ». Pascal Louvrier se souvient de celui qui a publié Je me souviens, oui, je me souviens…
Quand on cite Mastroianni (1924-1996), on pense à La dolce vita, de Federico Fellini, et à la scène mythique dans les eaux de la fontaine de Trevi, à Rome, avec la plantureuse et blonde Anita Ekberg. Ça a de la gueule, ce bain bouillonnant nocturne. Marcello joue le rôle de Rubini, la trentaine irrésistible, le geste élégant quand il allume une cigarette ou ôte ses lunettes noires. Il quitte sa province pour Rome, veut devenir écrivain et se retrouve à pondre des articles dans un journal à « sensations » comme on disait en 1960. J’aime beaucoup le personnage de Maddalena interprété par Anouk Aimée qui vient de tirer sa révérence. Il y a cette scène de dispute où elle conduit une splendide Américaine décapotable. Les deux forment un couple « vrai », moins glamour que celui qui s’ébroue dans la fontaine. Quand j’habitais au pied de la butte Montmartre, je rendais quelquefois visite à Anouk Aimée. Elle me recevait dans sa maison située près de la statue de Dalida. Une fois la porte refermée, on était en province et on oubliait la frénésie de Paris. Il y avait cette grande cage à oiseaux, sans oiseaux, remplie de livres qu’elle n’avait pas encore lus. Elle m’offrait un verre de vin rouge, on parlait de tout et de rien, souvent avec légèreté, parfois avec gravité, quand elle évoquait son enfance de gamine traquée par Vichy et ses collabos. Un jour, de sa voix douce, elle m’a dit : « Si je fume, c’est un peu à cause de Marcello. Sur le tournage de La dolce vita, il n’arrêtait pas d’allumer une cigarette et de m’en proposer une. Ça lui allait bien de fumer. Et puis, cette voix chaude, alourdie de nicotine, elle était irrésistible ».
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Dans les 170 films – un peu moins peut-être – tournés par Marcello, il y a, bien sûr, Une journée particulière, d’Ettore Scola, le poignant face à face entre cette mère de famille, Antonietta, interprétée par Sophia Loren, et cet intellectuel homosexuel fantasque qui danse seul la rumba, dans son appartement du sixième, le tout sur fond de fascisme et de nazisme triomphants. Dans son livre Je me souviens, oui, je me souviens… Mastroianni évoque le film, en particulier le coup de fil qu’il doit passer à un ami. Il s’adresse alors au réalisateur : « Ettore, la pudeur me suggère de jouer cette scène de dos. Toi, tu viens derrière moi, avec ta caméra, pour que les choses que je dis ne soient pas violentes, pour qu’elles n’arrivent pas au spectateur de façon désagréable ». C’est l’un des plus délicats moments du film.
Dans le même livre de souvenirs, Marcello affirme qu’il a toujours rejeté cette image de « Latin Lover » qu’on lui a trop facilement collée. Il a joué un impuissant dans Le Bel Antonio ; puis il est devenu un cocu répugnant dans Divorce à l’italienne ; il a été également un homme enceint ; il est tombé amoureux d’une naine. Le comédien préférait interpréter des hommes tourmentés, instables, fanfaronnant pour masquer une hypersensibilité ; ou provocateurs pour se moquer, par exemple, de l’affligeante société de consommation comme dans La Grande Bouffe, carnavalesque long-métrage de Marco Ferreri.
Marcello aimait passionnément sa mère, sa fille, Chiara, son métier d’acteur qu’il exerçait en tenant à distance ses personnages – « c’est l’acteur qui pleure, pas l’homme » – et bien sûr Paris où il mourut au 91, rue de Sèvres, entouré de Chiara, Catherine Deneuve et son vieux copain Michel Piccoli.
Marcello Mastroianni, Je me souviens, oui, je me souviens… Calmann-lévy.
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