Iacub dans l’Obs : la surprise du chef
La parution du « machin » de Marcela Iacub – on ne sait comment nommer l’opus : roman, récit, autofiction ou reportage sexuel ? – Belle et Bête – n’a été commentée que du point de vue de l’éthique éditoriale et du respect de la vie privée, ce qui est, ma foi, plus que légitime. Malgré l’abondance de rubriques « médias » dans la presse, personne ne s’est cependant risqué à tenter de comprendre comment et pourquoi cette affaire a pu survenir dans un journal tel que Le Nouvel Observateur.
Laurent Joffrin, directeur de la rédaction, et Jérôme Garcin, patron des pages Culture, ont invoqué, sans rire, la « qualité littéraire » de l’ouvrage. Or, jusqu’à présent, Joffrin était plus intéressé par la vie de Napoléon que par la prose de Christine Angot, la grande papesse de l’autofiction. Quant à Jérôme Garcin, il ne s’était jamais enthousiasmé pour l’autofiction, qu’il s’agisse d’Angot ou de ses imitateurs, si nombreux dans l’édition depuis qu’elle a été portée aux nues par l’aristocratie de la critique.
C’est donc l’éditeur de Marcela Iacub qui leur a apporté sur un plateau le divin plat littéraire, « prêt à cuire ». Le péché sans la faute, pour les deux parties : le livre ne mentionnant pas DSK, seul un lancement médiatique en grande pompe permettait à l’éditeur d’espérer un best-seller sans risquer le délit d’« atteinte à la vie privée ». Quant au Nouvel Obs, dont la santé économique n’est guère brillante – comme celle de tous ses concurrents, d’ailleurs –, ce scoop lui offrait la quasi-certitude de ventes en kiosque supérieures à 100 000 exemplaires (103 000 est le chiffre annoncé en interne, soit 70 % de hausse), assurance de quelques mois de nuits paisibles pour son patron. Cela méritait bien quelques accommodements avec ses goûts littéraires. Mais ce type de « coup » impliquait aussi une clandestinité absolue.[access capability= »lire_inedits »] En effet, ni Claude Perdriel, propriétaire du journal, ni Jean Daniel (proche d’Anne Sinclair) n’étaient dans la confidence à propos du sulfureux dossier et surtout de la « une » programmée pour le 21 février. Et le pré-sommaire, envoyé comme chaque semaine à l’ensemble de la rédaction, comportait – ça ne s’invente pas – un dossier leurre sur les « penseurs qui comptent » (Marcela eût été flattée d’en être…). Le mercredi 20 février, jour où les gens de L’Obs prennent connaissance de leur hebdomadaire imprimé, le numéro n’avait pas été livré au siège du journal, place de la Bourse. Les journalistes l’ont donc découvert en même temps que les lecteurs – et pour beaucoup, avec le même effroi. Joffrin et Garcin se sont d’abord frotté les mains : le « buzz » marchait au-delà de toute espérance. Deux jours plus tard, impossible de trouver l’hebdomadaire.
Vendredi 22 février, la « une » bienveillante de Libé – « Une liaison dangereuse » – et le renfort de Sylvain Bourmeau et de Philippe Lançon (généralement tenu pour un critique sérieux) leur donnaient l’impression que la partie était gagnée. Le 26 février, la condamnation en référé du journal et de l’éditeur, à la demande de Dominique Strauss-Kahn, relançait les ventes. La suite a fait déchanter les instigateurs de l’opération : certes, la sanction reste légère à l’aune des profits réalisés, mais les crachats des confrères et des médiacrates, plutôt portés d’ordinaire à l’indulgence, ainsi que la condamnation publique de la « une » par Jean Daniel, montrent qu’en terme d’image, le bilan est catastrophique pour l’hebdomadaire.
Joffrin et Garcin croyaient peut-être pouvoir ad vitam s’essuyer les pieds sur le paillasson DSK. Mais en ce domaine, comme en d’autres, vient toujours un moment où les choses se retournent. Point de bascule, cet instant de soulagement réconcilie avec l’humanité, lorsque les gens disent : « Ça suffit, laissez-le tranquille ! Trop, c’est trop ! » Même Jean-Michel Aphatie, qui ne fut pas tendre envers DSK, a levé le pouce au « Grand Journal » de Canal+.
Les deux conjurés se sont donc retrouvés bien seuls. Pour couronner le tout, ils ont essuyé une bronca de la Société des rédacteurs de L’Obs. En effet, le débat interne – intéressant au demeurant – a fait apparaître que les trois quarts des journalistes étaient hostiles à cette opération. On comprend mieux pourquoi Laurent Joffrin et Claude Perdriel, le propriétaire du journal, revenant sur l’affaire dans le numéro du 7 mars, dont la moitié de la couverture était occupée par un communiqué de justice, ont signé un texte qui flirtait avec l’autocritique voilée. En espérant sans doute que la polémique serait close, chacun finissant par se dire, conformément à une blague éculée de la profession : « Bah, demain, ça emballera le poisson… »
Un sceptre hante Le Monde : l’euroscepticisme
Le Monde l’a échappé belle. Pendant plusieurs mois, Arnaud Leparmentier a fait figure de favori dans la bataille pour la direction du quotidien du soir, finalement remportée par un outsider, la journaliste Natalie Nougayrède. Or, ce petit canaillou de Leparmentier avait caché à ses camarades à quel point il était devenu hostile à l’Union européenne. Lisez plutôt son édito publié le 27 février, intitulé – tout un programme – « Rêve allemand, cauchemar européen » : « C’est l’échec de l’Europe. L’échec de l’euro. Fallait-il signer ce traité de Maastricht (1992), qui tourne au désastre ? Après l’avoir tant défendu, on finirait par en douter. Curieusement, le sujet reste tabou. Dans les années 1990, on vendit la monnaie unique en assurant qu’elle permettrait de lutter contre les prétendues dévaluations compétitives des pays du Sud. Contresens total : la lecture inverse devrait prévaloir. Les dévaluations n’étaient que des bouffées d’oxygène pour compenser [après coup] le rouleau compresseur de l’industrie allemande. Sans doute aurait-il fallu écouter à l’époque les mises en garde précoces de Gerhard Schröder. »
Bienvenue au Club des eurosceptiques, Arnaud ! Même Mélenchon n’a jamais osé proférer une telle charge contre la monnaie unique. Sa charge contre l’euro inflexible, qui rend impossibles les dévaluations, montre le désarroi du camp euro-hystérique.
Autre média, même signe de l’érosion des eurocertitudes : dimanche 3 mars, sur France Culture, dans l’émission « L’Esprit public », Éric Le Boucher, grand prêtre du « modèle allemand » et de la rigueur nécessaire, a lui aussi flanché : « Il faut reparler de cette stratégie européenne à l’allemande, qui s’avère infliger des souffrances inutiles aux peuples du Sud. »
Seuls les imbéciles ne changent pas d’avis, direz-vous. À ce train, et sans vouloir lui faire offense, il ne restera bientôt plus que Pascal Lamy pour défendre l’Europe allemande. L’ennui, c’est que ça ne changera sans doute rien.[/access]
*Photo : Martin.Menu.
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