Ces derniers jours, le hasard a tenté par deux fois de me persuader que le mariage était, au mieux, une mauvaise blague qu’on a du mal à rattraper, au pire, une entreprise criminelle.
La première fois, c’était en lisant le dernier roman de Marcela Iacub, M le mari.
« J’avais l’allure d’une veuve et lui d’un singe déguisé en humain. » Voilà le souvenir que l’héroïne conserve du « plus beau jour de sa vie ». On pouvait difficilement imaginer pire départ dans la vie conjugale. Le reste suit, à la fois polar palpitant et démonstration implacable de cette idée bien connue selon laquelle on ne connaît personne, surtout pas ses proches.
Le problème de la promiscuité, c’est que l’on en vient à ne plus voir les gens – ou bien à trop les voir. L’héroïne de M le mari est une intellectuelle un peu froide qui se force à des penchants sentimentaux de midinette et à une complaisance cruelle devant les échecs de son mari.
« Je sentais qu’il me suppliait de lui donner des raisons de cesser de me haïr. Or jamais je n’ai songé à lui concéder cela et il le savait. Car écrire était ma vie. » Quand le crime fait irruption dans sa vie sous les traits du Tueur de la Vieille Lune qui sévit en série dans son quartier, elle refuse de soupçonner son homme. C’est aussi qu’il est un raté, un impulsif, un médiocre intellectuel toujours en devenir et dans l’ombre de sa femme qui, du coup, ne le voit plus. Un homme peut-il supporter pareille humiliation ? « M le mari » finit par exploser : « – De toute manière ce que tu écris, c’est du toc ! Tu comprends ? C’est du toc. De la merde ! »
Mais cela fait-il de lui un tueur ? Jusqu’au bout, l’héroïne en doute. Un manège bien orchestré par le journaliste Facchini et les allers-retours de l’esprit entre Lexomil et paranoïa balancent le lecteur d’une certitude à l’autre. Il faut absolument en faire un film, se dit-on une fois l’affaire résolue.
La deuxième fois, justement, le cinéma s’en est mêlé. Comment ne pas repenser à l’histoire de Marcela, et à celle de toutes les épouses de tueurs en tous genres, devant Désirs Humains de Fritz Lang (1954, inspiré de La Bête humaine) ? Ces dernières ne sont pas toujours d’innocentes victimes collatérales et aveugles. Les yeux de Vicky Buckley (Gloria Grahame) brillent d’une lueur diabolique quand son nouvel amant, Jeff Warren (Glenn Ford) insinue qu’il va tuer son mari. Dans le foyer de Vicky et Carl (Broderick Crawford), le véritable meurtrier n’est pas celui qu’on croit. La brute alcoolique, jalouse et humiliée, s’est vengée au cran d’arrêt de l’adultère de sa femme. C’est expéditif, mais on peut le comprendre. Celle-ci fait pire. Preuve que le mariage est souvent une machination à double détente, chacun complotant consciemment ou non contre l’autre. Les esprits dérangés, les artistes du crime se chargent de le rappeler, de loin en loin, dans l’ignorance générale.
Méfions-nous des yeux de l’autre que l’on sent dans son dos, suggèrent en vain tous ces personnages.
Marcela Iacub, M le mari – Michel Lafon, 219 pages, 16 euros.
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