Bien avant que son livre ne soit en vente, l’unanimité s’est faite à une incroyable vitesse autour de la culpabilité de Marcela Iacub : celle-ci a couché avec un cochon dans l’unique but d’accoucher de ce porcelet de 121 pages qu’est Belle et Bête, promis à un succès de librairie en raison de la notoriété planétaire du cochon en question. À entendre les commentateurs, l’ouvrage serait une goutte de purin propre à faire déborder la bauge, déjà pleine, de l’animal. D’accord avec eux, le procédé est discutable, d’autant qu’il est hors de doute que cet homme a droit à la paix. L’affaire est donc entendue, n’y revenons pas : Iacub est une truie et son livre une abjection.
Dossier classé ? Non, car ce qui est gênant, dans cette curée médiatique, c’est que le porcelet a été jeté avec l’eau de son bain : masqué par le scandale qu’il suscite et condamné d’avance, souvent même avant d’avoir été lu, le livre serait mauvais, un torrent d’ordures, vous dis-je. Deux jours avant sa sortie en librairie, il fallait entendre un Philippe Besson (à « On refait le monde », sur RTL) proclamer, sur le ton docte et définitif qu’il affectionne, que le livre « n’est pas édité » ; et le lendemain matin, sur Europe 1, la délicieuse Anne Roumanoff y aller de son couplet tout en finesse moralisante sur le fond du livre, qu’elle n’avait visiblement pas lu, devant un auditoire (qui ne l’avait pas lu non plus) qui applaudissait en se tordant à ses vannes vengeresses et à la virulence populiste de l’éreintement. Une fois de plus, les rieurs étaient du bon côté et les comiques bien installés dans leur rôle de maîtres-penseurs. Une fois de plus, les amuseurs servaient sans faillir l’évidence vertueuse et la bonne cause tiède et mollassonne. Tout était donc en ordre. Alors, qui allait s’accorder les deux heures suffisantes pour lire Belle et Bête avant d’en parler ? Puisqu’on vous dit, puisqu’on vous rit, puisqu’on vous répète que c’est une véritable saloperie…[access capability= »lire_inedits »]
J’avoue que j’ai transgressé les sommations de la vox populi : je suis allé au-delà de ses vaticinations et j’ai lu l’ouvrage en m’astreignant d’ignorer l’identité sulfureuse de son cochon de héros. J’y ai trouvé un écrivain, indiscutablement. D’abord dans sa façon d’extraire de son aventure si particulière le minerai d’un récit universel, puis de réduire à des métaphores tout ce qui aurait pu nourrir le voyeurisme du lecteur. On aura compris que ce récit n’est pas un reportage sexuel, mais le roman amoral d’une passion en surchauffe. Pas la moindre scène de cul, mais seulement de puissantes transpositions littéraires. Voyez de quelle manière singulière – comment dire ? anthropophage – l’auteur aborde (pages 31, 32, 33) la description de cet amour pour le moins dévorant ! Pointant les cousinages qui existent entre l’homme et le cochon, Iacub nous ouvre à cette idée que le meilleur de l’homme est parfois le cochon, c’est-à-dire sa part sauvage, primitive, « férocement anti-aristocratique, tragiquement démocratique », insoumise et intraitable. Alors que l’homme, lui, est une architecture sophistiquée de compromis policés et de sordides petits arrangements. Oui, Iacub est un écrivain en ce que sa phrase courte, rapide et sèche, provoque l’incandescence de ce qu’elle nous confie, épouse la carbonisation de ses sens et le dérèglement de sa raison (« J’étais amoureuse, s’étonne-t-elle, de l’être le plus méprisé […] de la planète. »). Car elle est un écrivain aussi dans cette manière de s’impliquer dans son récit et de s’y mettre en danger. À la question : « Qu’emporteriez-vous en priorité dans une maison en feu ? », Cocteau avait répondu : « Le feu. » Eh bien, de l’histoire vécue par Iacub, c’est exactement ce que son livre retient : le feu.[/access]
*Photo : thornypup.
Belle et Bête, Marcela Iacub (éditions Stock).
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