En 1876, Marcel Tissot publiait dans l’anonymat presque complet un roman sur la révolution française: Le Capitaine Philosophe. On vient d’exhumer ce petit trésor…
Le métier d’éditeur ressemble parfois à celui d’historien. En tout cas de l’historien qui cherche, qui fouille les archives, qui visite les greniers, dissèque les fonds et plonge dans l’immensité documentaire léguée par l’histoire. Au hasard de ces recherches, il découvre parfois un document inédit, une pièce oubliée, une archive dont on ne soupçonnait pas l’existence et qui apporte une matière supplémentaire à ceux qui s’y intéressent.
L’éditeur La délégation des siècles a récemment réalisé le même genre d’exhumation, en rééditant un roman publié une seule et unique fois en 1876, Le capitaine philosophe, par un romancier aujourd’hui oublié : Marcel Tissot. Le livre a eu un faible tirage et une diffusion restreinte en 1876 et il était absolument introuvable jusqu’à sa réédition récente.
Paris, cauchemar à ciel ouvert
Avec lui, Marcel Tissot nous replonge dans les années troubles de la Révolution et installe son personnage principal, Dunstan de Trévillers, dans un dilemme vertigineux. L’histoire : la famille noble de Trévillers, qui habite dans la ville du même nom (lieu authentique), entend monter la fièvre révolutionnaire. Le fils, Dunstan, n’est pourtant pas hostile à ceux qu’on appelle les philosophes et il voit dans ce grand mouvement révolutionnaire une bonne occasion de réformer la société et libérer le peuple de la tyrannie des vieux concepts. Séduit par ces idéaux, il les embrasse dans un premier temps jusqu’à rejoindre les rangs de l’armée. Son nouveau métier le conduit alors à rejoindre un Paris révolutionnaire où l’horreur s’est installée : le pavé est rouge du sang des Parisiens qu’on guillotine sans cesse, la population vit dans la crainte permanente de la délation, des procès expéditifs et du « rasoir national », les chefaillons de secteur zélés font régner un ordre sectaire, les comités liquident sur la base de simples dénonciations parfois anonymes ; en somme Paris, berceau de la Révolution qui devait libérer le peuple et ouvrir le temps de la liberté et de l’égalité, n’est plus qu’un immense cauchemar à ciel ouvert.
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Dunstan, bouleversé par les fruits pourris de ce qu’il croyait être un arbre vertueux, doute du bienfondé de ce grand mouvement dans lequel il avait placé sa confiance. Ce monde est-il souhaitable et, surtout, jusqu’où l’horreur révolutionnaire peut-elle emmener la France ? Dans ces conditions, il envisage de quitter l’armée républicaine mais se trouve très vite confronté à un dilemme : aux frontières, l’invasion d’armées étrangères menace. Que faire alors ? Il ne croit plus dans les idéaux qui portent cette armée mais cette armée est la seule force capable d’entraver la progression de puissances étrangères en lutte contre la patrie charnelle. Faut-il prêter main forte aux armées de la Révolution contre la menace étrangère, tout en rejetant les idéaux qui les mettent en mouvement ? Peut-on défendre le sol de la patrie contre le danger extérieur en s’associant au danger intérieur ? La question est loin d’être évidente et on peut aisément imaginer le même dilemme moral se poser à d’autres époques bouleversées.
Athéisme et rédemption
Tissot n’a donc pas seulement écrit un roman sur la Révolution, il a posé la question du dilemme moral auquel un homme, souvent démuni face à des événements de cette ampleur, se retrouve confronté lorsque les circonstances perturbent à ce point le confort habituel des positions politiques évidentes. Le capitaine philosophe, noble mais sensible à la Révolution, amoureux qui préfère l’aventure à sa promise, athée qui redécouvre les mystères de la foi, idéaliste qui revient à la réalité, incarne toutes les grandes disputes politiques et mystiques d’un temps où les événements ont prétendu les mélanger et les opposer.
Le lecteur, invité à réfléchir à ces sujets, sera également surpris de découvrir l’étonnante vitalité, en quelque sorte l’étonnante « modernité » de la plume de Tissot qui, quoiqu’il aborde des sujets graves, sait glisser des notes d’humour et des situations purement romanesques.
Le capitaine philosophe de Marcel Tissot (La délégation des siècles éditeur)
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