Le jeune Proust répugnait à être fonctionnaire comme son père : il avait une œuvre à écrire. Dans La Recherche, il dépeint une société aristocratique en voie de disparition qui méprise l’État bourgeois, son administration et ses hommes politiques. Mais le narrateur s’inscrit malgré lui dans ce monde nouveau.
Nous voilà le 29 mai 1895. Un petit jeune homme de bientôt 24 ans, l’air délicat, élégamment vêtu, raie des cheveux au milieu, fine moustache, se présente au concours d’attaché non rétribué à la bibliothèque Mazarine. Comme le poste ne lui rapportera pas un sou, pourquoi se donner la peine de postuler ? C’est qu’il veut faire plaisir à son père le docteur Adrien Proust, gros homme barbu des plus honorable, professeur agrégé à la chaire d’hygiène de la faculté de médecine de Paris, inspecteur général des services sanitaires internationaux, membre titulaire de l’Académie nationale de médecine, commandeur de la Légion d’honneur. Un travailleur inlassable pour le bien de l’humanité, jamais de repos. Il en mourra, frappé d’apoplexie huit ans après le succès de son fils aîné, Marcel, à ce concours de bibliothécaire. Marcel qui non seulement veut lui faire plaisir, mais d’abord lui montrer qu’il a un métier, même exercé gratis.
Bibliothécaire à la Mazarine, ce n’est pas rien. Un poste plutôt prestigieux. Arrivé troisième sur trois au concours, le jeune Marcel satisfait pleinement les vœux de son père. Le problème, c’est que lui, Marcel, goûte modérément ce genre de labeur. S’ensuit que,
