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Proust, l’exacte sensation

Chauffe Marcel !


Proust, l’exacte sensation
Marcel Proust, vers 1906 © Giancarlo Costa / AFP

Pour le centenaire de la mort de Marcel Proust, A la recherche du temps perdu est réédité dans la Pléiade sans aucune note de texte. L’occasion de ne plus se laisser intimider par une œuvre fleuve qu’il est tout à fait possible d’aborder avec un œil neuf et innocent.


Le témoignage le plus émouvant des dernières années de Marcel Proust, qui meurt le 18 novembre 1922, est un poème. Il est écrit par un jeune diplomate déjà assez lancé dans le monde des lettres, un certain Paul Morand, qui fréquente Proust depuis 1916. Proust a même préfacé le premier livre de Morand, Tendres Stocks en 1921. Il faudrait citer toute cette Ode à Marcel Proust parce que Morand, comme à son habitude en littérature, comprend tout, tout de suite :

« Proust, à quels raouts allez-vous donc la nuit
pour en revenir avec des yeux si las et si lucides ?
Quelles frayeurs à nous interdites avez-vous connues
pour en revenir si indulgent et si bon ?
et sachant les travaux des âmes
et ce qui se passe dans les maisons,
et que l’amour fait si mal ? »

Ce que Morand saisit d’emblée ? Un épuisement physique, une réclusion volontaire pour mener à bien le grand œuvre. Il décrit Proust, enfermé dans la chambre tapissée de liège du boulevard Hausmann. Le liège, pour étouffer le bruit et fixer la poussière afin de ralentir les crises d’asthme épuisantes. Mais Morand comprend aussi que le mondain, le snob, l’esthète délicat, pure fleur vénéneuse des salons comme Robert de Montesquiou, est en fait un génie. Celui qui court tous les dîners, toutes les premières, celui à qui on en veut d’avoir reçu le prix Goncourt en 1919 pour À l’ombre des jeunes filles en fleurs – face à l’ancien combattant Roland Dorgelès et ses Croix de bois – mène une course désespérée contre la maladie. Préférer un dandy à moitié juif et inverti à un poilu héroïque, ça ne se fait pas. Avec en plus le soutien de Léon Daudet, de l’Action française ! Mais, comme il le fera dix ans après pour Céline et son Voyage, Daudet se moque de l’idéologie. Il sait reconnaître une œuvre majeure quand il en voit une.

A lire aussi : Proust: le scandale du prix Goncourt 1919

Morand saisit lui aussi que ce fameux snobisme proustien cache un travail monumental dont une partie sera d’ailleurs posthume. Il comprend la bonté de Proust, cette bonté que donnent, aux saints et aux génies, la compréhension totale du monde et l’absence de jugement. Proust apparaît à Morand comme un voyageur immobile, un Ulysse intérieur dont l’Ithaque est un livre à écrire, un livre qui raconte comment et pourquoi s’écrit le livre total que vous êtes déjà en train de lire, dans un étrange paradoxe temporel : À la recherche du temps perdu se termine précisément quand le narrateur va… se mettre à l’écrire !

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Mai 2022 - Causeur #101

Article extrait du Magazine Causeur




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