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Marcel Moreau: hélas, le virus a bon goût

L'écrivain vient de mourir du coronavirus


Marcel Moreau: hélas, le virus a bon goût
L'écrivain Marcel Moreau chez lui en 2008 © PHILIPPE MATSAS / Opale / Leemage via AFP

Marcel Moreau, écrivain sauvage, est mort à 86 ans du coronavirus. Son œuvre, méconnue du grand public et snobée par une république des lettres anémiée, est néanmoins essentielle.


Il ne sera pas la vedette des victimes du Covid-19. Il s’appelait Marcel Moreau, il avait 86 ans. C’était un des très grands écrivains de langue française, et comme beaucoup de très grands écrivains de langue française, comme Simenon ou Michaux, il était Belge même s’il est mort à Bobigny le 4 avril 2020, dans ce 9-3 dévasté par la maladie où certains osent accuser le non-respect du confinement par d’affreux lascars en oubliant que les pauvres toutes couleurs confondues ont cette affreuse manie de s’enfermer à beaucoup dans des superficies réduites. Quel mépris, sans doute, aurait fusé de l’incontrôlable Marcel Moreau, anarchiste total et lyrique, ami de Topor et des situationnistes comme son compatriote Raoul Vaneigem. Vaneigem, auteur d’un Traité de savoir-vivre à l’usage des jeunes générations où dès 1967, il annonçait très précisément, en même temps que le Debord de La Société du Spectacle, les malheurs qui sont les nôtres.

Marcel Moreau, né en 1933 dans le Borinage, s’était fait connaître par Quintes (1962), un roman publié par Buchet-Chastel, appelé à devenir l’éditeur des situs et par Bannière de bave (1964) chez Gallimard. Il est salué par Simone de Beauvoir et pas mal d’excellences du milieu littéraire du moment. À vrai dire, Marcel Moreau s’en moque. On a vu peu d’écrivains, si ce n’est peut-être Artaud, être saisi à ce point physiquement par une écriture qui devient aussi vitale que la respiration. Moreau ne trichait pas dans un milieu précisément fondé sur la tricherie, où même celui qui est sincère doit intégrer le mensonge pour faire avancer en contrebande la beauté ou la vérité, – c’est souvent la même chose. Employé en robinetterie mis au chômage, aide-comptable puis correcteur dans des journaux, chargé de famille, il s’installe à Paris à l’époque où c’était encore possible, en 1968 pour travailler comme petite main au Figaro. Il peut ainsi écrire des horreurs, en assurant un minimum sa survie alimentaire. Un exemple ? « Le Borinage dont je me souviens nie la transparence. Il a des boursouflures de moricaud rossé.  C’est aussi un emphysémateux. De plus, il attire les suies, les traces de doigts, les dépôts louches. La mine est la comme la partie honteuse de la nuit. Ce que la nuit  dissimule sous ses jupes, sa menstruation sans Tampax, les grelots qu’elle s’enlève du cul, les morves qu’elle tire de son nez et qu’elle collerait comme un gosse chafouin sur le revers de sa veste quand sa mère a le dos tourné ».  Ainsi commence-t-il son Egobiographie tordue, parue chez Bourgois en 1973. On comprend assez vite pourquoi Marcel Moreau ne pouvait pas être digéré, neutralisé, récupéré par une société de plus en plus policée, de plus en plus puritaine derrière ses fausses révolutions sexuelles et ses vraies pulsions de contrôle. Il est heureux que les néo-féministes ne lisent pas et que Moreau n’ait pas été « bankable », sinon, il serait sans doute passé à la moulinette de son vivant. Cet horrible érotomane à l’indécence de croire à un lyrisme incandescent, brutal, sensuel, voluptueux, éruptif pour célébrer la rencontre amoureuse et son potentiel subversif sur la vie de bureau d’un correcteur de revue scientifique dans le magnifique Julie ou la dissolution (Bourgois, 1971).

De toute manière, les chiffres, et particulièrement les chiffres de vente, sont la ruine de l’âme dans un monde où le règne de la quantité est totalitaire : « Les chiffres m’écœuraient, ai-je dit. Un jour, un comptable, socialiste de surcroît, m’interdit de chanter, même juste, pendant le travail ». Si quelque chose caractérise l’œuvre prolifique, méconnue et difficilement trouvable de Marcel Moreau, c’est bien que jusque dans sa moindre ligne, elle chante juste.

Je m’interdis les mauvaises pensées pendant la Semaine Sainte, mais le virus, quitte à prélever son quota d’écrivains, aurait pu en choisir d’autres, des encombrants qui seront oubliés demain. Ou alors, il a un effroyable bon goût, le virus, et ne survivront que… 

Je me tais. Encore une fois, c’est la Semaine Sainte. Il vaut mieux relire Moreau et sa Pensée mongole (rééditée en 96 par L’Ether vague): « Car il ne s’agit pas d’appeler la maladie en soi, il s’agit d’être soi-même la maladie, de l’incarner magnifiquement. Voilà comment je me figure le saboteur, le saboteur esthétique, celui qui oppose la beauté terrible des œuvres à la laideur des oppressions ».

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