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Manif pour tous : quel avenir politique ?


Manif pour tous : quel avenir politique ?

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Propos recueillis par Elisabeth Lévy et Gil Mihaely
L’idée de « populisme chrétien » énoncée par Patrick Buisson dans Le Monde vous semble-t-elle opérante ?
Pourquoi pas, pourvu qu’on se mette d’accord sur le sens du terme « populisme ». Il y avait sans doute dans la Manif pour tous un élément populiste au sens propre : le sentiment de ne pas être entendu, reconnu, de ne pas avoir voix au chapitre dans un débat tenu pour vital. Cette révolte contre la non-représentation d’une partie significative de la population est effectivement un vrai ingrédient du populisme.
Il y a aussi eu dans la rue de véritables réactionnaires – ou ce qui s’en approche le plus – opposés à la liberté des mœurs et même, pour certains, à la République. Donc ils existent ?
Bien sûr que oui, même s’ils n’ont pas l’habitude de descendre dans la rue et de fabriquer des pancartes. Vous savez, tout survit très longtemps, dans les marges, dans les catacombes, à l’état résiduel ! À l’apogée de la protestation, le mouvement a fédéré la France hostile au gouvernement socialiste, par réflexe et par sensibilité conservatrice : en somme la France de droite. Mais dans un tel contexte, qui organise, qui prend la parole ? La minorité militante, ceux qui sont le plus organisés ! En Mai-68, on n’entendait que des maoïstes et des trotskistes qui devaient représenter 1% du mouvement !
On entend aussi les plus violents, comme ces groupuscules décidés à en découdre apparus aux marges des manifestations. Y a-t-il continuum entre le conservatisme moral et l’extrémisme politique de cette nouvelle extrême droite identitaire ?
Ces groupuscules sont bien incapables de mobiliser des foules, mais la Manif pour tous leur a fourni l’occasion inespérée d’attirer l’attention et peut-être aussi de recruter un peu. Mais ce n’est pas destiné à aller très loin.
La force qui est apparue avec la Manif pour tous peut-elle changer la donne politique ?
Pas vraiment. Le mariage, la filiation et même les mœurs ne suffisent pas à définir une politique. Le terrain naturel de la frange la plus activiste du mouvement n’est d’ailleurs pas la politique. Elle est focalisée sur le problème sexuel – à l’image de toutes les religions dans la modernité avancée. Personne ne pense plus que le pouvoir vient de Dieu. En revanche, il y a un domaine où l’on peut continuer de voir son empreinte en posant que c’est lui qui donne la vie. Ce qu’on appelle la « loi naturelle » dans la tradition chrétienne. Dans cette perspective, la différence des sexes, la famille, la procréation sont des questions bien plus stratégiques que l’économie ou la fiscalité.
Cette minorité morale ne pose-t-elle pas un problème à une droite massivement acquise à la liberté des mœurs ? [access capability= »lire_inedits »]
On sait bien qu’en politique, on se définit essentiellement contre quelqu’un ou quelque chose plutôt que pour des idées. Même si la cohabitation peut s’avérer difficile, la droite libérale et la droite morale ont les mêmes adversaires. Cela dit, tout dépendra des personnalités qui émergeront durablement (ou non) et de la stratégie qu’elles adopteront : soit elles en resteront à l’affirmation identitaire et opteront pour une ligne sectaire du camp retranché ; soit elles tenteront de peser dans le débat public, quitte à tisser des alliances.
Une option qui pourrait être gagnante, dès lors que 50% de la population est au moins réservée sur l’adoption plénière par les homosexuels et ses conséquences sur la filiation…
C’est encore un autre sujet. Notre société a un problème avec l’enfant et nombreux sont ceux, religieux ou pas, qui commencent à en prendre la mesure. Mais ils sont loin de former  un « camp » uniforme.
Quel problème avons-nous avec les enfants ? Tout le monde en veut !
Justement ! Derrière le « mariage pour tous », il y a le désir d’enfant, extrêmement répandu et socialement valorisé. Mais ce désir d’enfant est-il si bon pour les enfants ?  Le problème est simple : l’enfant dépend de ses parents mais il doit devenir un être libre. Ce désir dont il est l’objet, et qui est naturellement le désir de son bonheur, le prépare-t-il vraiment à exister par lui-même ? Il y a là une contradiction qui crée un climat de culpabilité diffus autour des enfants. Ils sont la valeur suprême, mais cette valorisation ne garantit pas notre capacité à les élever correctement. La demande d’enfants des homosexuels a eu pour effet de mettre en lumière une inquiétude plus générale.
Malgré tout, n’y a-t-il pas, au moins dans une partie des troupes, la volonté de renégocier la laïcité pour la rendre plus douce aux croyants ?
Cette évolution de la laïcité est déjà engagée, mais jusque-là elle concernait surtout l’islam. Désormais, les catholiques entrent dans le jeu. Cela va modifier sérieusement les données du problème.
Vous avez décrit des gens accrochés aux vestiges d’un monde disparu. Faut-il pour autant les traiter, comme on l’a abondamment fait, de résidus de l’Histoire ?
Ce mépris témoigne d’une grande incompréhension. La liberté est aussi celle de réinventer la tradition. Nos braves catholiques se trompent lorsqu’ils croient sincèrement défendre quelque chose qui, en fait, n’existe plus. En réalité, ils la redéfinissent sur d’autres bases. Le mariage qu’ils plébiscitent n’a rien à voir avec l’union de familles bourgeoises qui s’entendaient pour défendre leurs intérêts ! Ils agissent en individus modernes choisissant librement, entre plusieurs options, de nouer entre eux un pacte indissoluble avec toutes les conséquences qui s’ensuivent. Le modèle est traditionnel, mais le type de famille qui en résulte ne l’est pas du tout. C’est ce que ne voient pas les avant-gardistes qui les traitent de haut. Qui plus est, l’avenir est peut-être du côté de ces « tradis » modernes car le type de valeurs qu’ils revendiquent pourrait être plébiscité par des jeunes qui ont eu à subir le divorce de leurs parents et mal vécu les avatars de la décomposition-recomposition familiale.
Créer et adhérer à un modèle est une chose, édicter une norme en est une autre : cette minorité pourrait-elle imposer un retour en arrière sur les mœurs ?
Plus personne n’empêchera quiconque de choisir son mode de vie, y compris traditionnel. Cette menace d’un retour de bâton autoritaire et conservateur est un fantasme ![/access]

Eté 2013 #4

Article extrait du Magazine Causeur



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Elisabeth Lévy est journaliste et écrivain. Gil Mihaely est historien.

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