Le « roi des forains » Marcel Campion et la Ville de Paris sont en guerre ouverte, après des années d’étroite collaboration. Du marché de Noël des Champs-Elysées à la grande roue de la Concorde, il aborde tous les sujets de discorde et entrevoit la fin du monde de la fête populaire.
Causeur. Jusqu’à une date récente, vous travailliez en bonne intelligence avec Anne Hidalgo qui disait apprécier les forains avant de faire voter un vœu pour vous retirer l’organisation du marché de Noël au bas des Champs-Élysées. Que s’est-il passé ?
Marcel Campion. La dernière fois que je l’ai vue, le 24 juin 2016 à la fête des Tuileries, elle m’avait remis un prix et tout s’était bien passé. Il faut dire qu’à la dernière élection municipale, j’avais accepté de figurer sur son comité de soutien parce qu’Anne Hidalgo s’était engagée à soutenir les forains. Pendant deux ans, la maire a été très sympathique, nous a étouffé d’embrassades et de félicitations : « Formidable, la fête foraine au Grand Palais ! La fête des Tuileries, en plein Paris, c’est splendide ! Le marché de Noël sur les Champs : ça ne coûte pas un sou à la Ville et c’est la plus belle initiative dont j’aie jamais entendu parler ! »
Et puis, soudainement, le couperet est tombé : un rapport de la chambre régionale des comptes, qui épinglait sa gestion financière. Sur les 50 pages du rapport, 45 pages me sont consacrées ! J’en suis très honoré, à ceci près que la plupart de ses allégations sont fausses. D’ailleurs, j’ai déposé un recours contre le vœu qu’Hidalgo a fait voter pour supprimer le marché de Noël sur les Champs-Élysées. C’est un événement que j’organise depuis huit ans sans gagner un sou. Je ne me laisserai pas faire.
Que vous reproche la chambre régionale des comptes ?
La chambre m’accuse d’avoir appauvri la Ville pour trois raisons. Primo, j’ai demandé à la mairie de Paris d’acheminer de l’eau potable aux Champs-Élysées pour éviter aux clients du marché de Noël de boire l’eau de la Seine, comme cela se faisait jusqu’en 2010. Ces travaux ont coûté 120 000 euros.
Secundo, en 2010, à la demande des Carrières de Paris, la Ville a effectué pour 280 000 euros de travaux de consolidation sur la place de Concorde pour que le site puisse accueillir la grande roue et d’autres événements en toute sécurité. Mais il n’est précisé nulle part qu’entre le marché de Noël et la grande roue, j’ai payé 12 millions d’euros de loyer à la Ville depuis 2008 !
Tertio, il m’est reproché d’avoir obtenu le renouvellement de la grande roue place de la Concorde, soi-disant dans des conditions déloyales.
C’est-à-dire ?
En 2015, alors que j’obtenais depuis vingt ans l’autorisation de placer la grande roue de gré à gré, la Ville de Paris a fait un appel d’offres. Parmi les concurrents qui se sont présentés « spontanément », il y a une banque du Liechtenstein qui a des fonds dans 60 roues à travers le monde. Mais ce banquier ne possédait pas de grande roue à proposer à Paris. Normal, ça coûte 10 millions d’euros. Comme je trouvais l’opération curieuse, un de mes collègues forains a contacté le banquier du Liechtenstein et ça ne s’est pas très bien passé. Résultat : on m’accuse d’avoir voulu intimider ce pseudo-concurrent !
Un détail m’échappe : pourquoi ce banquier a-t-il répondu à l’appel d’offres de la Ville s’il ne possédait pas de grande roue ?
Devant le juge, le banquier a reconnu ne pas avoir de grande roue, mais pouvoir s’arranger pour en trouver une. En conséquence de quoi, alors que la date de dépôt des dossiers à l’appel d’offres était le 4 mai 2015 pour une ouverture de l’attraction le 10 juillet, le banquier m’a appelé le 7 mai pour me proposer de travailler avec lui en lui apportant ma roue, pensant que cela pourrait lui permettre d’être retenu. Dans son dossier de candidature, il y avait une photo de ma grande roue, ce qui m’a fait porter plainte. J’ai été piégé dans cette affaire car la Ville a fait en quelque sorte monter les enchères. Sachez que je paie une redevance pour la grande roue. En 2015, son montant équivalait à 25 % ou 30 % du chiffre d’affaires, soit la somme colossale de 1,2 million d’euros. Grâce à la mise du banquier, la Ville comptait faire monter le niveau de la redevance à 1,6 million d’euros. Ce qui fait dire à la chambre régionale des comptes que la Ville a perdu 400 000 euros de redevance en m’accordant finalement l’autorisation par un gré à gré signé au dernier moment.
Juridiquement, vous semblez avoir bénéficié d’un certain favoritisme.
C’est absurde. La Ville n’avait d’autre choix que de renouveler l’autorisation car j’étais le seul en lice avec une grande roue. Il se trouve que je suis le concepteur de la première grande roue, en 1993, les 400 autres réparties dans le monde entier sont arrivées dans les années 2000. Et si on admet l’hypothèse selon laquelle je suis en situation de recel de favoritisme, que fait la justice pour désigner l’auteur du favoritisme ?
Laissons Anne Hidalgo tranquille. Ce n’est pas de sa faute si au cours d’une perquisition à votre domicile, la police a trouvé de l’argent liquide.
Mais j’ai le droit d’avoir de l’argent liquide chez moi, parfois même 2 millions d’euros ! Le 6 octobre 2016, 80 policiers armés et des gendarmes sont venus faire une perquisition diligentée par le juge pour trouver je-ne-sais-quoi. Ils ont tout cassé, ont tenu en respect ma femme de 66 ans et moi-même, qui en ai 78. Les voisins croyaient à une attaque de djihadistes tellement c’était violent. Tout cela pour trouver 300 000 euros et des poussières dans mon coffre, une somme d’ailleurs justifiée. Ils ont saisi mes papiers, puis m’ont tout rendu car il n’y avait rien d’illégal.
La justice vous reproche aussi la détention d’un compte en Suisse…
Tracfin a lancé une alerte contre moi alors que ce compte est légal et déclaré. Mes sous ont été saisis une première fois, puis le juge a annoncé me les rendre. C’est alors qu’une seconde alerte Tracfin a été lancée pour la même raison ! On m’a séquestré tous mes comptes et bloqué mes coffres. C’est une mécanique que Le Canard enchaîné alimente en racontant n’importe quoi sur mon compte depuis des années, avec la complicité de tous ceux qui me veulent du tort.
Outre la suppression programmée du marché de Noël, où en sont vos projets avec la mairie de Paris ?
Alors que nous organisions depuis une quinzaine d’années une « Opération jours de fête » tous les deux ans au Grand Palais, cette fois la mairie de Paris loue le bâtiment aux mêmes dates !
Quant à la fête foraine qui a lieu à la fête de la Bastille depuis cent ans, elle est délogée par la Ville de Paris. Enfin, la mairie a torpillé la foire du Trône qui dispose chaque année de 5 000 places de parking. Cette année, il y a zéro place de parking pour le visiteur ! Au nom des espaces verts et de la lutte contre la pollution, Paris a infligé 30 % de fréquentation en moins à la foire du Trône. Je crie donc aux forains : « Réveillez-vous ! Vous allez mourir ! »
Votre colère vous donne des intonations quasi marxistes. Avez-vous manifesté contre la réforme du Code du travail pour avoir une tribune médiatique ?
La France est le pays de la précarité. C’est encore pire depuis que le gouvernement a sorti une ordonnance sur les marchés d’animation le 19 avril. Ce diktat impose de faire appel à la concurrence pour tous les espaces publics. On pourra toujours dire que les forains refusent la concurrence, mais il y a des us et coutumes dans les métiers. Pour investir, un forain doit savoir qu’il pourra revenir l’année suivante. Avec cette ordonnance, c’est fini ! Et puis les forains ne sont pas des écrivains : quand on tourne dans 35 villes par an, comment rédiger 35 dossiers de candidature ? S’ils meurent, cela profitera aux grands groupes. D’ailleurs, à La Baule, Veolia vient de prendre la place des plagistes indépendants.
Dans votre élan, vous avez publié une tribune sur le site du Comité invisible, groupe d’ultragauche dont est issue la bande de Tarnac.
Tous ceux qui veulent bien me prendre des tribunes peuvent les publier. Plus il y a de vues, mieux ça vaut !
Comptez-vous contre-attaquer à coups d’articles ?
Pas seulement. J’attends que la chambre régionale des comptes publie son acte pour porter plainte pour diffamation, voire au pénal. Dans son prérapport prétendument confidentiel, la chambre recommande à la Ville de Paris de ne plus signer l’agrément du marché de Noël des Champs. C’est un dossier confidentiel que personne ne doit lire avant que les deux parties ne soient reçues. Mais la presse l’a consulté avant moi. On veut ma mort professionnelle : le lendemain de mes deux mises en examen, 163 journaux en faisaient état !
La Ville de Paris répond à Marcel Campion
L’espace public est un bien commun qui appartient à tous les Parisiens. Il ne peut pas être occupé sans autorisation : il y a des procédures et des règles à respecter. Les attractions foraines doivent elles aussi s’y conformer. Depuis 2001, à l’initiative de Bertrand Delanoë, un important travail a été fait pour davantage de rigueur, de transparence et d’équité dans ce domaine. À partir de 2014, Anne Hidalgo et son équipe ont tenu à renforcer encore davantage ces exigences, dans le plus complet respect du droit. Cette démarche est partagée par les élus du Conseil de Paris, qui ont décidé à l’unanimité de mettre un terme au marché de Noël des Champs-Élysées, dont la qualité n’était pas satisfaisante. Majorité et opposition municipales vont travailler ensemble à de nouvelles animations, qui répondront mieux aux attentes des Parisiens. Pour le reste, une information judiciaire est ouverte, dans laquelle M. Campion a été récemment mis en examen. La Ville ne souhaite pas interférer dans les investigations en cours. Il convient de laisser les enquêteurs travailler sereinement pour aboutir à la manifestation de la vérité.