Le poème du dimanche
Il y avait naguère à Paris, à l’angle de la rue de Vaugirard et de la rue Madame, à deux pas des jardins du Luxembourg, une librairie. Elle s’appelait « Le Pont traversé ». Elle a été remplacée après sa fermeture en 2019 par un coffee shop qui sert des salades composées, car les villes, hélas, changent plus vite que le cœur d’un mortel. Cette librairie avait été fondée en 1949 par un poète, Marcel Béalu, mort en 1993.
Elle avait servi de point de rendez-vous à tous les amateurs de poésie en général et de littérature surréaliste ou fantastique en particulier. On pouvait y trouver des originales de Gracq ou de Mandiargues, des plaquettes d’André Breton, de vieux volumes de la mythique collection « Poètes d’aujourd’hui » de Seghers, des nouvelles d’Edgar Poe dans des tirages limités.
C’est pour son Anthologie de la poésie érotique, qui fait encore référence, que Marcel Béalu reste dans quelques mémoires. C’est dommage car cet écrivain est l’auteur d’une œuvre étrange, troublante, où dans la grande tradition nervalienne, le rêve s’épanche dans la réalité. On conseillera par exemple ses Mémoires de l’ombre, cent vingt contes brefs qui se confondent parfois avec le poème en prose.
Légende
Deux amants sont devenus des arbres
Pour avoir oublié le temps
Leurs pieds ont poussé dans la terre
Leurs bras sont devenus des branches
Toutes ces graines qui s’envolent
Ce sont leurs pensées emmêlées
La pluie ni le vent ni le gel
Ne pourront pas les séparer
Ils ne forment qu’un seul tronc
Dur et veiné comme du marbre
Et sur leurs bouches réunies
Le chèvrefeuille a fait son nid.
Marcel Béalu.
Anthologie de la poésie érotique
Mémoires de l’ombre