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Marcel Aymé: Martin, notre contemporain multiple

"Derrière chez Martin" de Marcel Aymé


Marcel Aymé: Martin, notre contemporain multiple
L'écrivain Marcel Aymé (1902/1967) STF / AFP

Lectures et relectures d’été


On devrait toujours trouver le temps d’Aymé. Disons que c’est une question d’hygiène mentale et littéraire. Une ou deux fois par an, si vous vous sentez un affaiblissement de l’intelligence, si vous vous enfermez pour tout et pour rien dans des réflexes conditionnés idéologiques, prenez un peu de la médecine du docteur Aymé. Il vous apprendra comment on peut critiquer les résistants tout en trouvant les collabos parfaitement méprisables, tout en trouvant la peine de mort absolument répugnante.  

Comme il n’a pas été un auteur maudit, on trouve aisément ses œuvres, chez les libraires, les bouquinistes et même dans cette boite à livres de Saint-Junien (Haute-Vienne) où se cachait entre deux vieux Fleuve Noir espionnage et un manuel de jardinage, Derrière chez Martin dans une édition folio de 1973 avec une couverture d’un certain Jean-Pierre Huster, illustrateur qui a le mérite rare chez les illustrateurs d’avoir lu le texte d’Aymé puisqu’il est possible de retrouver pour l’observateur attentif les thèmes de chaque nouvelle, à travers les enseignes de magasins d’une butte Montmartre de fiction qui surplombe le paysage.

Car c’est Montmartre, comme souvent, qui est le décor de Derrière chez Martin, neuf nouvelles parues à l’origine en 1938. La date a son importance, on sent tout de même, diffuse, les angoisses d’une période incertaine. Mais l’essentiel, pourtant, est ailleurs. Martin, dont on sait qu’il est le nom le plus fréquent en France, est pour Marcel Aymé un moyen de mettre en scène cet homme ordinaire, en général honnête et décent à qui il va arriver des choses extraordinaires et indécentes.

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On trouve dans ce recueil de quoi se rendre compte de l’excellence aimable de la « méthode Aymé » qui consiste à confronter l’homme de tous les jours à l’inimaginable et à le faire en utilisant un ton égal, sans élever la voix ni le rythme et comme le dit à peu près Aymé lui-même dans son « prière d’insérer », à garder les canons du récit réalistes. Les métamorphoses de Martin seront nombreuses : il y aura un Martin romancier qui ne maitrise plus ses personnages, un Martin renvoyé de sa banque, un Martin élève de cinquième (l’enfance n’est jamais très loin chez Marcel Aymé), un Martin cocu, un Martin inventeur qui entretient des rapports conflictuels avec sa statue plus connue que lui, sans compter un Martin travailleur immigré, un Martin assassin de toute sa famille et qui renonçant à se faire justice lui-même devient tout de même une manière de fantôme malgré lui.

Par rapport aux auteurs de sa génération, Marcel Aymé est mort un peu vite, en 1967. Mais il a eu, ce Diogène de l’Yonne, la consolation de mourir en pleine gloire. Ses romans étaient pour la plupart des succès, il était l’auteur préféré des écoles primaires avec ses Contes du Chat Perché, ses pièces de théâtre se jouaient régulièrement, ses romans furent adaptés de son vivant, comme Le Passe-Muraille et La Jument verte. Derrière chez Martin rappelle de surcroît une caractéristique rare chez les écrivains : être aussi bon dans la nouvelle que dans les romans, ce qui est peut-être aussi le cas de Morand ou même de Maupassant, même si je ne mettrais pas ma main au feu à propos des romans de Morand.

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