Accueil Culture Hommage à Marc Fumaroli, à travers l’éloge de Dijon

Hommage à Marc Fumaroli, à travers l’éloge de Dijon


Hommage à Marc Fumaroli, à travers l’éloge de Dijon
Le compositeur français Jean-Philippe Rameau (1683 -1764) © MARY EVANS/SIPA Numéro de reportage: 51111656_000001

Un peu partout en France, on déboulonne les statues. Comment se fait-il que, dans la ville de Dijon, la statue de Jean-Philippe Rameau soit toujours debout ? Rameau, le raciste, avec ses Indes Galantes ? Lors de l’affrontement de bandes, tchétchène et ottomane, j’écoutais l’air de La danse dite des Sauvages, longtemps l’indicatif d’une émission de Radio Classique. Je relisais, dans la République des Lettres, le chapitre que Marc Fumaroli consacre à Dijon et au président de Brosses, quand on annonça la mort de l’Académicien. En écrivant cet article, j’entends rendre un hommage modeste à Marc Fumaroli, à travers quelques figures marquantes de cette ville de Dijon qui fut, à tous égards, représentative de la République des Lettres que l’Académicien habita toute sa vie.


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Marc Fumaroli. © Sipa JDD / Bisson. Numéro de reportage: 00622581_000006

La moutarde… et le kir !

À moins d’être un Barbare, Jean-Philippe Rameau, natif de Dijon, est impossible à déboulonner. Persuadé de la convergence entre les sciences et les arts, il fonde sa musique sur les règles rigoureuses de l’harmonie. Le résultat ? Des œuvres – pas seulement les Indes Galantes – surprenantes de jeunesse et d’humour qui respirent le bonheur. Le Président de Brosses, lui, est un juriste, un historien et un mélomane éminents. Fils d’une grande famille parlementaire de Bourgogne, ses amis sont le président Bouhier, Diderot et Voltaire, et surtout Buffon, l’ami intime. Avant leur brouille, Voltaire, « le philosophe papillon », qui mettra des bâtons dans les roues à l’entrée, à l’Académie, de Charles de Brosses, disait de son ami qu’il était « fils de cette ville de Dijon où le mérite de l’esprit semble être un des caractères des citoyens. » C’est de Brosses, en effet, qui rédigera l’article Gamme dans l’Encyclopédie. C’est de Brosses qui, lors de son voyage en Italie, en achetant, de ses deniers, la première édition de la Serva Padrona de Pergolèse, introduira, en France, la musique italienne. C’est également à de Brosses que l’on doit la paternité des noms Polynésie et Australasie. Quant à François Rude, lauteur du haut-relief, la Marseillaise, placé sous l’Arc de Triomphe, est représenté, dans un jardin de sa ville natale, tenant une petite Marianne dans la main. Espérons qu’il ne lui arrive rien. Dijon, c’est enfin la moutarde qui nous monte au nez en ce moment. Si la moutarde remonte au XVIème siècle et qu’elle n’est pas certifiée d’origine protégée, c’est bien une famille dijonnaise du XVIIIème siècle, les Naigeon, qui lui donna ses lettres de noblesse. On me dit de ne pas oublier le kir dont Dijon s’enorgueillit, du nom du chanoine Kir.

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Né à Marseille, Marc Fumaroli, consacre, dans La République des Lettres, un chapitre au président de Brosses, au joyau que sont « Les Lettres familières d’Italie » écrites en 1739, « au style abondant et vivace. » Les modernes Descartes et Fontenelle auraient-ils fait, dans l’esprit de Brosses, le voyage en Italie ? « Leur esprit d’analyse n’avait cure de la mémoire, de la culture littéraire et gratuite. » De Brosses, lui, scientifique et juriste, humaniste et érudit, unit à un savoir immense un charme badin. Fumaroli compare le « je » de ses lettres à celui de Montaigne, « ouvert à l’enthousiasme comme à l’ironie… pour qui la littérature, c’est d’abord cette ruche d’abeilles lettrées où il peut être lui-même heureux, avant de convier son lecteur à partager avec lui son gâteau de miel ». Qui le connaît, à présent, ce grand magistrat et ce polygraphe qui alla, sur les pas de Salluste et enquêta, in situ, sur une ville, enfouie sous les cendres du Vésuve ? Ces lettres italiennes que Marc Fumaroli préfaça, aux éditions André Versaille éditeur, on y apprend mille choses, sous une plume curieuse, vive, ironique : elles ont un charme inégalé que n’ont pas les voyages convenus des contemporains. À notre époque, la scission est consommée entre sciences et littérature : les « sciences humaines » règnent en maître.

La République des Lettres a-t-elle disparu ?

Avec l’Encyclopédie, dit Marc Fumaroli, une ère nouvelle s’ouvrait où « la liberté de ton du président de Brosses et l’esprit d’indépendance n’auraient pas été admises. C’est le temps où tout le monde s’oppose à tout le monde : le roi aux parlements, la cour aux philosophes. De cette République, Voltaire lui-même fait « un parti d’opposition et de combat ». On dirait à présent que tout est politisé. Belle leçon de modernité !

« Et in Arcadia ego. » Marc Fumaroli aura une place à son nom, comme Jacqueline de Romilly en a une, rue de la Montagne Sainte-Geneviève, devant le café, enfin réouvert : « La Méthode ». Mais les commémorations ne consolent pas. A-t-elle disparu, cette société de savants lettrés dont Marc Fumaroli a fait partie ? Non pas « ce petit échiquier parisien », avec ses centaines de romans ou d’essais annuels, mais cette République des Lettres, européenne, cultivée, érudite sans pédanterie, éprise et jalouse de liberté ?

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Marie-Hélène Verdier est agrégée de Lettres classiques et a enseigné au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Poète, écrivain et chroniqueuse, elle est l'auteur de l'essai "La guerre au français" publié au Cerf.

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