L’avocat suisse Marc Bonnant revient sur les rapports philosophiques entre liberté, égalité, mais aussi l’idée de mort, qui ont pu justifier le confinement. Son point de vue helvétique souligne certaines incohérences du peuple français qui, en acceptant cette décision, va à l’encontre de ce qui a fait son histoire. Causeur vous propose de lire un extrait de son échange avec Elisabeth Lévy, à retrouver en intégralité ici.
Verbatim
Elisabeth Lévy. J’ai été très choquée d’entendre le Premier ministre décréter que préserver la santé des Français était le premier objet de la politique publique, et assurer la continuité de la vie de la Nation le deuxième.
Marc Bonnant. Oui, cette hiérarchie ne me conviendrait pas. Je serais plutôt d’avis qu’il faut viser la continuité de la vie de la Nation, avec sa part de limites, et peut-être avoir un autre rapport philosophique à la mort : savoir l’accueillir, savoir même qu’elle fait l’intensité de nos vies, et que des vies éternelles seraient infiniment ennuyeuses. Au fond, renouer avec l’idéal antique d’une vie qui est intense parce qu’elle est brève est une manière d’apprivoiser l’idée de la mort et de l’accueillir avec une sérénité stoïcienne. Ce serait plutôt ainsi que je pense et ressens l’ordonnancement des choses.
Au fond, cet esprit rebelle qui a fait votre grandeur – et je ne pense pas particulièrement à la Révolution, cet esprit insolite et transgressif est en train de perdre de son éclat
Elisabeth Lévy. On parle de la grippe espagnole qui n’était pourtant absolument pas devenue un enjeu public ou plus près de nous de l’épidémie de grippe qui a tué des milliers de morts en 1968. Dans les deux cas, ce sont des épidémies qui ont fait beaucoup de tragédies individuelles, mais qui ne sont pas devenues des affaires publiques. Est-ce que cela vous paraissait plus humain ?
Marc Bonnant. Non, je pense que tout cela participe de notre rapport à la mort qui s’est beaucoup altéré. Bien sûr, nous la savons inévitable mais nous la voulons plus lointaine et à certains égards nous la nions. Je crois que beaucoup ont l’espérance d’une vie éternelle. Simplement, ces pactes que nous pouvons faire avec le diable ne sont pas la vie éternelle mais la jeunesse éternelle. Négliger pareillement ce qui fait l’intensité de la vie plutôt que ce qui fait la durée de la vie me paraît être une faiblesse de raisonnement.
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Elisabeth Lévy. Alors que le gouvernement a fixé une première date pour le déconfinement, on voit déjà des corporations râler – en général celles qui sont payées par l’État – refusant d’aller travailler si c’est pour prendre un risque. J’en reviens donc à ce dont vous parliez, à savoir cette vie sans risque…
Marc Bonnant. C’est très frappant. Et l’autre chose qui m’interpelle c’est cette nouvelle hiérarchie, à mon sens, qui consiste pour les Français à placer la sécurité au-dessus de la liberté. C’est étonnant pour le peuple que vous êtes, compte tenu de son histoire. Mais aujourd’hui, pour être sécurisé et protégé, c’est naturellement vers l’État que l’on s’adresse. Au fond, cet esprit rebelle qui a fait votre grandeur – et je ne pense pas particulièrement à la Révolution, cet esprit insolite et transgressif est en train de perdre de son éclat. Encore une fois, cette hiérarchie selon laquelle la durée de la vie importerait plus que son intensité et son contenu étonne, car au fond c’est la jeunesse et l’intensité qui sont importantes, pas la durée. La durée ce n’est rien.
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