Une malencontreuse erreur technique nous a fait publier hier sous ma signature un texte écrit par notre ami André Senik. Certes, cette erreur a été corrigée depuis, mais des excuses s’imposent et aussi quelques explications.
Tout d’abord, mes excuses à l’intéressé pour cette captation bien involontaire de copie. Je sais qu’il les acceptera parce qu’il est mort de rire depuis hier de me voir asticoté à sa place dans les commentaires.
Des commentaires qui appellent justement un commentaire : je fais mes plus plates excuses derechef, mais cette fois aux lecteurs qui se retrouvent habituellement dans ma prose et qui ont été tout tourneboulés par ma soudaine supposée conversion au libéralisme.
Ce virage de cuti est impensable et je vais tâcher de vous expliquer pourquoi.
Les libéraux pensent que l’économie est une science – comme les pseudomarxistes façon Badiou ou les néokeynésiens façon Piketty. Foutaises, baby, foutaises ! A ce tarif-là, on décrétera bientôt que la politique aussi est une science et qu’on l’enseignera dans des écoles de sciences politiques aux meilleurs de nos rejetons. Auquel cas il faudrait se poser une question : si des écoles de sciences politiques existaient et si elles étaient peuplées massivement d’antifascistes convaincus, pourquoi que le Front, il fait 30% des voix, hein ?
Et si l’économie était une science, pourquoi l’Occident il est en crise totale depuis 1973, re-hein ? On pourra bien sûr jouer au même quizz idiot avec les inénarrables « sciences sociales », et répondre tout aussi négativement à la question, quitte à attrister les tenants de la « French Theory » qui est un de nos derniers produits made in France qui cartonnent à l’exportation – avec la friteuse sans huile et les djihadistes de banlieue[1. Ce dernier gag est volé sans vergogne à Elisabeth Lévy qui a bêtement oublié de le déposer à l’INPI.].
Si le libéraliste, plus encore que ses concurrents badiouïstes ou pikettystes, prétend que l’économie est une science, c’est notamment parce qu’il postule que l’humain est un agent économique rationnel. Je postule, moi, que c’est là une belle ânerie qui fait comme si l’inconscient n’existait pas et comme si nous autres humains à pouvoir d’achat correct mais non infini ne dépensions pas des fortunes pour stocker dans nos armoires des costumes en mohair ou des petites robes noires que nous ne porterons jamais…
Attention, les amis, je ne suis pas un féroce antilibéral non plus. Je suis d’un naturel distrait, mais il ne m’a pas échappé que la Révolution d’Octobre n’avait pas intégralement rempli son contrat. Cela dit, après le 11 Septembre, certains intellectuels américains ont fait remarquer qu’en concentrant toute son énergie pour détruire l’URSS, les USA avaient peut-être tué le mauvais cochon. Je partage leurs doutes, et je partage surtout mes certitudes – qui sont aussi pour le coup celles de mon ami André Senik – sur la nature du danger principal qui menace actuellement notre mode de vie, à savoir l’islamisme. J’ajouterai un grain de sel perso et un rien pervers à ce constat, à savoir que djihadophilie et libéralisme intégral sont parfaitement compatibles, ou alors j’ai mal relu mes notes sur le Qatar et l’Arabie saoudite. Et faut-il rappeler qu’Oussama a fait de brillantes études de « business administration » ?
Bref si le soviétisme s’est planté, et bien planté, le libéralisme aurait tort de parader. Et même si c’est un épiphénomène à l’échelle mondiale, les succès des mouvements populistes de droite ou de gauche dans toute l’Europe sont là pour rappeler cet échec économique et politique à ceux qui sont encore plus distraits que moi.
Ni libéral, ni vraiment antilibéral, que suis-je, alors ? Disons, quitte à me répéter, que je suis un adepte de Deng Xiaoping et de son malicieux axiome « Chat noir, chat blanc, le bon chat est celui qui attrape les souris». A certains moments et dans certains secteurs, il faut plus d’Etat. Et dans d’autres circonstances, il faut déréguler. En économie comme en politique, il faut voyager léger, et laisser son bagage théorique à la consigne.
Un petit mot pour le dessert sur le président Mao. Je ne pense pas, comme André, que le Petit Livre rouge ait essentiellement une valeur comique. Mao a engendré beaucoup de crimes, et beaucoup de miracles aussi. J’ai un portrait de lui dans ma bibliothèque, pas loin des œuvres complètes de Simon Leys, dont je suis grand fan. Mais après tout, moi aussi j’ai le droit d’avoir des contradictions secondaires.
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