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Valls hésitation


Valls hésitation

manuel valls taubira

Manuel Valls est à la fois remarquable et décevant. Bien avant la primaire socialiste pour l’élection présidentielle, on n’ignorait pas que grâce à lui on aurait l’avantage d’un socialisme de la vérité plutôt que de la vérité d’un socialisme avec tout ce qu’elle impliquerait d’idéalisme et de dogmatisme mêlés. Il y avait déjà, latente, invisible, l’opposition à venir entre lui et une Christiane Taubira.

Omniprésent et rigoureux lors de la campagne victorieuse de François Hollande, il était attendu, espéré comme ministre de l’Intérieur et, pour ma part, je continue à penser que, dans ses actions et ses propos, non seulement il n’a pas déçu mais qu’il est parvenu à porter haut et clair l’affirmation d’un réalisme non cynique et et d’un pragmatisme tentant au mieux de concilier efficacité et humanisme, le cœur et les mains si j’ose dire.

Le reproche qui lui a été souvent fait de « faire » du sarkozysme est absurde. D’une part le bilan de Nicolas Sarkozy comme ministre de l’Intérieur à deux reprises n’a pas été à ce point brillant qu’il puisse servir de modèle et constituer un terreau à partir duquel il aurait fallu forcément concevoir ses entreprises. D’autre part, la structure même du ministère de la Place Beauvau conduit son titulaire à multiplier les interventions, les déplacements et les prises de position.

L’essentiel n’est pas dans la forme de l’action mais dans le fond, dans le contenu de l’action elle-même et dans la substance des discours et des explications qui l’accompagnent, dans le climat qui l’entoure. Sur ce plan, rien à voir entre entre l’exacerbation agitée de Sarkozy et le volontarisme pugnace mais maîtrisé de Valls. Puis-je soutenir que je suis rassuré quand j’entends ou je lis les contradictions que les adversaires de Manuel Valls prétendent lui opposer ?

Pour Razzy Hammadi, « Manuel Valls ne rend pas service à la gauche en mettant au centre de la rentrée les questions de l’immigration, du voile à l’université ou de la compatibilité de l’islam avec la démocratie. » (Libération). Alors que c’est exactement l’inverse. C’est en les faisant entrer dans le débat socialiste, grâce à sa force d’argumentation et au nom de convictions déjà anciennes, que le ministre console ceux qui en ont assez du seul ciel idéal des principes pour compenser la dureté de situations sociales et transgressives, et pas seulement à Marseille. Manuel Valls oblige à un retour au réel pour mieux le transformer une fois qu’il est connu et analysé sans fard. Dur pour les éthérés de rejoindre la terre.

Cécile Duflot et les écologistes se vantent, par ailleurs, d’être très hostiles aux conceptions et à la politique de sécurité et de justice de Manuel Valls. Mais j’ai beau apprécier la première, je ne suis pas étonné que son ignorance de ces problèmes et son rousseauisme superficiel lui fassent prendre parti en faveur de Christiane Taubira. Les poncifs pénitentiaires qu’elle égrène quand elle se pique de se mêler de de ce qui n’est pas son champ de compétence sont navrants (Libération).

Je sais bien aussi qu’on dit le président de la République agacé par l’éclat médiatique et la surabondance ostensible de ce ministre. Mais François Hollande est trop fin pour ne pas vite recouvrer son calme. Il ne peut pas se permettre de perdre à nouveau un ministre brillant alors qu’il a déjà dû se séparer heureusement de Jérôme Cahuzac, malhonnête homme mais professionnel redoutable et avisé.

Le président de la République aurait d’autant moins de justification de s’en prendre, fût-ce du bout de son ironie ou de sa causticité, à Manuel Valls et que ce dernier – c’est ce que je lui reproche fondamentalement – ne sort pas d’une Valls hésitation à la longue épuisante pour ceux qui rêvaient de lui voir non seulement une compétence et une excellence ministérielles – elles ont été démontrées – mais un caractère et un courage politiques – on les attend. Tout recadrage présidentiel est inutile puisque Manuel Valls anticipe et se replie.

On va taxer d’immature mon grief en me traitant de naïf ignorant des subtilités de la solidarité gouvernementale, des aléas de la politique politicienne et de la construction d’un destin présidentiel, le moment venu, qui impose des silences, des abstentions, des lâchetés et des rétractations.

Mais tout de même !

Alors qu’il a marqué au fer rouge l’antagonisme fondamental – une vraie fracture au sein de la gauche – entre Christiane Taubira et lui-même en prenant la peine de le formaliser dans un courrier au président de la République, à peine l’orage levé, au lieu de l’exploiter et d’en tirer profit pour son avenir et son identité, il rebrousse chemin, affiche une réconciliation ostensible avec le garde des Sceaux et rentre dans le rang avec une flatterie tactique à l’égard du gouvernement et du président qui trancheront. Je regrette que Manuel Valls propose des avancées, formule des provocations et proclame sa singularité puis qu’il nous contraigne à les tenir pour rien puisque chaque lendemain détruit les fulgurances nécessaires de la veille.

Il a jeté, paraît-il, « un froid polaire » lors du séminaire gouvernemental consacré à cet avenir consolant arrêté en 2025 en évoquant nettement et sans complaisance les risques futurs de l’islam, de l’immigration, si on laissait faire, et les limites du regroupement familial (Le Parisien). Quel bonheur de lire cela pour tous les adeptes, dans notre démocratie, d’une gauche plausible et opératoire, ne se cachant pas derrière ses valeurs qui ne s’usent jamais car trop rarement confrontées à la vie collective et à l’inventivité sociale avec ses effets déplorables.

Mais, à peine l’information dévoilée, Manuel Valls l’a occultée, en a amoindri les conséquences roboratives en déclarant n’avoir jamais parlé du regroupement familial lors de cette réunion gouvernementale. Son intelligence et son intégrité l’incitent à la vérité mais son sens politique, croit-il, lui impose le devoir de la dissimuler ou de l’atténuer. Ses avancées de lucidité sont altérées par ses reculs de manœuvrier.

Pire que tout, les interventions de Manuel Valls, notamment devant les socialistes réunis pour juger de sa conformité à la ligne, ont viré au désastre parce que Christiane Taubira, infiniment plus fine que lui, a obtenu un accueil de star, délirant d’enthousiasme, en flattant les jeunes socialistes dans le sens du poil idéologique et irresponsable et en recueillant une embrassade de son amie Martine Aubry présente et silencieuse à la fois (JDD).

Ne cédant rien au ministre de l’Intérieur, elle a rétrospectivement rendu dérisoires et décalées les protestations de socialisme de ce dernier, son affirmation enflammée sur son appartenance à la gauche et quasiment sa rétractation sur ses propos lucides sur l’islam et l’immigration tenus quelques jours auparavant. Il poussait même le masochisme lors de cette séance de repentance jusqu’à rendre hommage au garde des Sceaux qui elle-même se gardait bien de lui rendre la pareille.

Christiane Taubira a peut-être commis une seule erreur résultant directement de sa certitude de se trouver en terrain conquis à La Rochelle, victorieuse sans avoir été obligée de livrer bataille, son adversaire apparent ayant jeté l’éponge par cette étrange manie, chez lui, de manquer d’audace et de ne jamais oser franchir à temps la ligne d’avantage.Trop préoccupé par la ligne socialiste. La ministre a annoncé ses projets comme si l’arbitrage prévu le 30 août avait déjà été rendu et qu’elle était assurée de l’avoir remporté. Certes, le Premier ministre a rectifié cette arrogance prématurée mais j’espère qu’il n’oubliera pas cette désinvolture si persuadée de son triomphe à venir.

Si Manuel Valls continue sur ce registre, il est clair qu’on ne pourra plus jamais compter sur lui pour opposer la réalité à sa collègue éprise d’elle-même et de ses fantasmes. Mon seul espoir réside en André Vallini qui pour être à l’extérieur du gouvernement développe une vision de la sécurité et de la justice dont notre garde des Sceaux aurait dû s’inspirer.

Je serais désolé si cette Valls hésitation, ces contritions systématiques, en définitive le réduisaient sur les deux plans, celui du socialisme de la vérité et celui de Manuel Valls espoir pour une autre gauche.

Demain.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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