Manuel Valls, merci pour Kamel Daoud


Manuel Valls, merci pour Kamel Daoud
Kamel Daoud, en 2011 (Photo : SIPA.00697366_000009)
Kamel Daoud, en 2011 (Photo : SIPA.00697366_000009)

La bonne nouvelle du moment, c’est que les bouches s’ouvrent, partout dans le monde pour soutenir Kamel Daoud. De Dakar à Oxford, de Québec à Tizi Ouzou, le mouvement de solidarité active avec celui que les complices des obscurantistes veulent abattre — et pas seulement au sens figuré — est désormais mondial.

Tout ça pour dire que ça bouge de partout, y compris en France, où un facebooker pas tout à fait lambda vient de publier un texte magnifique sur sa page perso. Il s’agit de Manuel Valls. Ce texte intitulé « Soutenons Kamel Daoud »  le voilà. Il mérite d’être cité de la première à la dernière ligne :

« Certains universitaires, sociologues, historiens, l’accusent, dans une tribune – plutôt un réquisitoire – d’alimenter, au sein de notre société, de prétendus fantasmes contre les musulmans. Au lieu d’éclairer, de nuancer, de critiquer – avec cette juste distance que réclame pourtant le travail du chercheur –, ils condamnent de manière péremptoire, refusent le débat et ferment la porte à toute discussion.

Le résultat est connu : un romancier de talent – et sur qui pèse déjà une « fatwa » dans son pays – décide, face à la violence et la puissance de la vindicte, de renoncer à son métier de journaliste. C’est tout simplement inconcevable.

Cette manière de mener le débat public est le signe d’un profond malaise de l’intelligence, d’une grande difficulté, dans notre pays, à penser sereinement le monde d’aujourd’hui, ses dangers. Et d’une trop grande facilité à repousser tous ceux qui s’y essayent.

Pourtant, dans une époque de plus en plus indéchiffrable, gagnée par la montée des extrémismes, des fanatismes, les analyses de Kamel Daoud – et d’autres avec lui – peuvent nous être d’un grand secours. Car derrière les caricatures qui en ont été faites, l’écrivain algérien nous livre un point de vue éclairant et utile, celui d’un intellectuel, d’un romancier. Une réflexion à la fois personnelle, exigeante, et précieuse.

Personnelle, parce que Kamel Daoud n’avance pas sans preuves. Il nous parle du réel, de ce qu’il voit, de ce qu’il ressent, de ce qu’il vit aussi. Ce sont des réalités longuement étudiées, des rapports de force méticuleusement examinés qu’il nous décrit. Et si son propos a tant de profondeur, c’est qu’il nous parle, non pas de théorie, mais d’expérience.

Exigeante, car Kamel Daoud va loin. Il refuse le simplisme, le convenu, l’évident. Il nous dit au contraire que le monde est plus confus, moins lisible qu’on ne le pense. Il ne prétend pas, par exemple, que les sociétés occidentales sont parfaites, pas plus qu’il ne renvoie les sociétés musulmanes à un « Moyen Âge ». Il ne conteste ni les violences de l’« Occident », ni la richesse et le dynamisme de l’« Orient ».

Il montre simplement, comme l’a fait Deniz Gamze Ergüven dans son très beau Mustang, qu’il y a dans le monde musulman – mais aussi ici, en France – un fondamentalisme qui veut enfermer les consciences, imposer son ordre archaïque, entraver les libertés, soumettre les femmes. Par quelle injustice, par quelle absurdité – et alors qu’ils dénoncent les mêmes réalités avec chacun leur écriture – la réalisatrice franco-turque est-elle encensée, tandis que l’intellectuel algérien est cloué au pilori ?

Ce que demande Kamel Daoud, c’est qu’on ne nie pas la pesanteur des réalités politiques et religieuses ; que l’on ait les yeux ouverts sur ces forces qui retiennent l’émancipation des individus, sur les violences faites aux femmes, sur la radicalisation croissante des quartiers, sur l’embrigadement sournois de nos jeunes.

Réflexion précieuse, enfin, parce que Kamel Daoud se risque à tracer la voie à suivre. Entre l’angélisme béat et le repli compulsif, entre la dangereuse naïveté des uns – dont une partie à gauche – et la vraie intolérance des autres – de l’extrême droite aux antimusulmans de toutes sortes –, il nous montre ce chemin qu’il faut emprunter.

Un chemin que la France emprunte, en faisant savoir, à tous ceux qui ont abandonné la pensée, qu’un musulman ne sera jamais par essence un terroriste, pas plus qu’un réfugié ne sera par essence un violeur.

Un chemin que la France emprunte, aussi, en défendant les valeurs auxquelles elle croit, et sur lesquelles elle ne transigera jamais : la liberté – celle d’écrire, de penser –, l’égalité – notamment entre les femmes et les hommes –, la fraternité et la laïcité – qui font notre cohésion.

C’est en ces valeurs que croit Kamel Daoud. Parce qu’elles fondent notre démocratie, notre modernité, notre espace public – un espace où le débat est possible et où l’on respecte ceux qui prennent la parole –, ce sont ces valeurs qu’avec détermination nous devons défendre.

Abandonner cet écrivain à son sort, ce serait nous abandonner nous-mêmes. C’est pourquoi il est nécessaire, impérieux, et urgent, comme beaucoup l’ont fait ces derniers jours, de soutenir Kamel Daoud. Sans aucune hésitation. Sans faillir. »

Tout le contenu de cette déclaration du Premier ministre est à mes yeux réjouissant : ferme sur les principes, et résolument offensif contre les ennemis de la liberté, de l’égalité et de la laïcité.

Tous ceux qui me connaissent un peu le savent, le vieux bolcho-souverainiste que je suis ne ménage pas son énergie pour dire du mal de la politique de ce gouvernement (de la non-renégociation des traités européens à la loi El Khomri en passant par Goodyear et le latin-grec). Je cogne joyeusement quand cette politique me paraît contraire aux intérêts du peuple et de la nation (et aussi, en vrai, aux intérêts de moi-même comme dans le cas des lois antifumeurs à la con de Marisol Touraine).

J’en suis d’autant plus à l’aise pour dire tout le bien que je pense de cette déclaration exemplaire de Manuel Valls. Puisse, justement, tout la gauche d’en haut en prendre exemple. Y compris notre cher président, dont le silence est assourdissant sur ces questions pourtant principielles.

Plenel ou la réponse d’un lyncheur

D’autres l’ouvrent. Et c’est une bonne chose pour la clarification. Le plaidoyer de Valls pour l’honneur de la culture et de la politique n’a vraiment pas plu à tout le monde. Ça tombe bien, il n’était pas fait pour. Et on a donc eu droit ce matin sur France Culture à la contre-attaque minable d’Edwy Plenel, que je cite avec gourmandise : « La haine du multiculturalisme réunit dans la même croisade Donald Trump, Marine le Pen, Manuel Valls et Poutine ».

Cet amalgame, disons-le franco, c’est la réponse d’un lyncheur. Mais d’un lyncheur virtuel qui ne sait plus très bien comment masquer son soutien de fait aux vrais lyncheurs, aux vrais lanceurs de fatwa, aux vrais égorgeurs.

Quand tu n’as plus d’arguments « audibles », Edwy, tu mets celui que tu veux disqualifier dans la même charrette que ceux que l’on présente comme les derniers des salopards. Bel effort pour celui qui ose encore faire croire qu’il est un « trotskiste culturel », ce qui est une insulte à l’ensemble des militants de cette mouvance, et ils sont plus nombreux qu’on le croit, à ne pas avoir vendu leur âme aux salafistes pour une bouchée de voix aux cantonales.

Ce procédé infâme qu’utilise Plenel contre Valls, contre Daoud et contre tous les déviants qui pensent autrement que Mediapart et Tariq Ramadan, c’est l’amalgame. C’est la charrette où l’on met côte-à-côte un assassin d’enfant et un poète dissident, un espion nazi et un vieux bolchevik. Ce fut entre autres la technique inquisitoriale de tous les procès de Moscou, avant même l’invention du point Godwin.

Réponse de lyncheur, donc, mais de lyncheur sonné par la saine violence démocratique du Premier ministre hier soir, puis re-sonné par l’admirable chronique de Brice Couturier sur Kamel Daoud, ce matin, sous les yeux indignés de Plenel, dans le studio de France Cu. Réponse de lyncheur aux abois, donc.

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De l’Autonomie ouvrière à Jalons, en passant par l’Idiot International, la Lettre Ecarlate et la Fondation du 2-Mars, Marc Cohen a traîné dans quelques-unes des conjurations les plus aimables de ces dernières années. On le voit souvent au Flore.

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