L’ancien Premier ministre publie Le courage guidait leurs pas (Tallandier, 2023). Il a répondu à nos questions.
Frédéric Magellan. Dans un livre intitulé Le courage guidait leurs pas, vous dessinez le portrait de 12 personnalités. En fait, vous trichez un peu, puisqu’en comptant les 343 « salopes » du manifeste de 1971, ça fait 354 personnages !
Manuel Valls. Vous avez repéré ma ruse… Et je m’en explique dans le livre. Il m’aurait été tout à fait possible d’illustrer le combat féministe des années 70 par une seule grande figure, Gisèle Halimi ou évidemment Simone Veil. La France ne manque pas de femmes illustres ayant combattu pour leur émancipation. Ce qui m’intéresse dans le manifeste des 343, c’est la dimension collective de cette démarche, née de la somme de courages individuels. Mais, c’est aussi et surtout sa manière de nous éclairer sur l’évolution du visage du féminisme en France. Loin d’être dirigé contre les hommes, le combat s’organisait contre un ordre réactionnaire et patriarcal. Il revendiquait de nouveaux droits et l’égalité. Dans les combats féministes, femmes et hommes étaient alliés, pour ceux qui souhaitaient y prendre leur part. Je regrette aujourd’hui ce sectarisme qui vise à séparer hommes et femmes. Comme Elisabeth Badinter, je pense que tout ce qui est perdu sur le terrain de l’universel l’est aussi sur le terrain de l’égalité. Ensemble, nous sommes toujours plus forts, comme en Iran, où beaucoup d’hommes sont aux côtés de ces femmes exceptionnelles et courageuses qui se battent pour la liberté en refusant l’obligation du port du voile.
Vous dédiez vos deux premiers portraits à Charb, assassiné dans les circonstances que l’on sait, et à Sébastien Castellion, théologien protestant du XVIème siècle qui s’est opposé au fanatisme religieux. Vous évoquez aussi la figure de Michel Servet, qui a réussi l’exploit (si l’on peut dire) de voir son effigie brulée par l’Inquisition, avant de passer sur le bucher pour de vrai sous la théocratie genevoise de Jean Calvin. Si vous n’aviez pas été Premier ministre pendant les douloureuses années 2015-2016, auriez-vous accordé une telle importance à la dénonciation du fanatisme religieux dans votre ouvrage?
Oui, je le crois. J’ai été élevé d’abord dans un milieu catholique extrêmement tolérant. De mes lectures – Zweig, Koestler, Camus, Mauriac – et des discussions familiales autour de la guerre civile espagnole et de ses atrocités, j’ai retiré un élixir de nuances. Ensuite il ne m’a pas fallu attendre mon mandat de Premier ministre pour comprendre le danger qui nous guettait. Maire d’Evry, j’assistais déjà à la montée de l’islam politique radical et à la résurgence de l’antisémitisme dans les quartiers populaires – lequel est toujours annonciateur des pires drames dans l’histoire de l’humanité. Les attentats de Toulouse et Montauban en 2012, et ma prise de fonction au ministère de l’Intérieur n’ont fait que décupler mes craintes. Mon parcours politique a donc été marqué très tôt par la menace du fanatisme religieux. Mais j’ai aussi la conviction profonde que la laïcité et la défense inlassable de nos valeurs républicaines sont nos seules options. Cela passe par la dénonciation de toute forme de radicalité. Nous sommes une terre de valeurs universelles, une terre dont les racines chrétiennes sont profondes et dont le destin est aussi lié au judaïsme ; une terre d’accueil à d’autres confessions, dont l’islam. L’oublier, c’est courir le risque de disparaître. Difficile de croire aujourd’hui en une démocratie apaisée tenue à l’écart des fracas du monde. La période 2015-2016 est une bascule dans notre histoire qui nous ramène à d’anciens combats que l’on ne s’imaginait plus explorer par excès de confiance en l’immuabilité de nos victoires passées.

Vous écrivez qu’ « une société fière de ses principes et de son histoire fait plus envie qu’un modèle fissuré par le doute et la haine de soi ». C’est un véritable réquisitoire contre la gauche des 40 dernières années que vous faites là, SOS Racisme et loi Taubira en tête, non ?
Bien au contraire. Être fier de l’histoire de son pays c’est aussi en reconnaître les passages les plus sombres. En ce sens, la loi Taubira de 2001 est essentielle, c’est là l’honneur de la République. La traite et l’esclavage sont des crimes contre l’humanité dont
