Je viens de comprendre : Manuel Valls est bipolaire. Il a ses jours maniaques et ses jours dépressifs. On repère facilement les premiers au fait que le ministre de l’Intérieur proclame son amitié pour Christiane Taubira, jurant qu’il marche avec elle « main dans la main », sans se « prendre les pieds dans de faux dilemmes ». Quand il entre en phase dépressive, les « faux dilemmes » ont tendance à se muer en règlements de comptes façon puzzle sur le mode : Je commence à en avoir marre que mes flics risquent leur peau pour coffrer des voyous que tes juges gauchos vont relâcher, alors, l’un de nous deux est de trop au gouvernement et j’ai bien l’intention de le dire au patron.
Les bons jours, il voit la France et la vie en rose : il est de gauche. Il jure à qui veut l’entendre (et à La Rochelle, ils en voulaient, du Valls-qui-rit, ses copains socialistes) que l’immigration est une chance pour la France et que l’islam est compatible avec la République. Plein de générosité, il promet de doubler les naturalisations et menace des foudres de la loi les maires qui manqueraient à leurs obligations en matière d’accueil des gens du voyage et des Roms (à la fureur de quelques maires PS).
Les mauvais jours, ce n’est pas le même homme. À l’entendre, les choses iront forcément de mal en pis. Il découvre que les Roms occupant des campements « ne souhaitent pas s’intégrer », évoque des « problèmes de cohabitation » (où va-t-il chercher ça ?) et juge que les « villages d’insertion » imaginés pour eux sont une foutaise (pour être exacte, il parle de leur « intérêt limité »). Ça ne s’arrête pas là : invité à plancher sur la « France de 2025 », il prône la réduction des flux migratoires, en commençant par le regroupement familial, et prétend que « l’islamophobie » est un « cheval de Troie des salafistes visant à déstabiliser le pacte républicain ». Au point qu’on se demande s’il ne cauchemarde pas, lui aussi, une France islamisée. Ces jours-là, c’est simple, on dirait vraiment un type de droite.
Ces sautes d’humeurs n’ont pas échappé à mes sagaces confrères, qui les analysent en général sous l’enseigne du « double discours », classique politique permettant de ratisser large – une cuillère pour les bobos, une cuillère pour les prolos. En revanche, on n’a peut-être pas assez réfléchi à la signification de ces variations et à ce qu’elles révèlent, non pas tant de Valls lui-même, que de la gauche et du Parti socialiste. Après tout, personne ne compte sur Valls pour séduire l’électorat des beaux quartiers. Pourquoi, alors, doit-il avancer masqué et dire qu’il n’a jamais dit ce qu’il a dit ? Tout simplement parce que, s’il veut rester dans la famille, le ministre doit se faire pardonner son « positionnement républicain » – que beaucoup qualifient aimablement de « posture » comme s’il était inconcevable, à leurs yeux, que l’on puisse être « de gauche » et « républicain » ( « de gauche » et « islamiste », ça colle ?). Qu’il faille s’excuser d’être républicain devrait tout de même faire méditer ceux de ses camarades qui n’ont pas complètement oublié ce qu’était la gauche avant de régler par le haut, si on peut dire, en accompagnant sa disparition, l’épineuse question de la nation.
On ne peut même pas accuser les socialistes d’électoralisme de bas étage, au contraire – au fait, c’est quoi le contraire de l’électoralisme ? Ils savent bien que Valls, arrivé en cinquième position à la primaire avec 5,6 % des voix, est le plus populaire d’entre eux. Ils savent aussi que ce ne sont pas les dévotions et génuflexions auxquelles il se livre devant eux qui lui valent la confiance d’une majorité de Français – qui, décidément, ne comprennent toujours pas ce qui est bon pour eux –, mais la liberté qu’il prend parfois d’appeler un chat un chat.
En résumé, si le ministre de l’Intérieur n’est guère aimé de son parti, c’est en quelque sorte parce qu’il est aimé des Français. Ça, c’est louche. Non, à la réflexion, Valls n’est pas bipolaire. S’il a l’air bizarre, c’est que c’est un mec normal perdu dans une gauche schizophrène.
*Photo : PS/Mathieu Delmestre.
Cet article en accès libre est extrait de Causeur n°5 (nouvelle série). Pour lire tous les articles de ce numéro, rendez-vous chez votre marchand de journaux le plus proche ou sur notre boutique en ligne pour l’acheter ou vous abonner : 5,90 € le numéro / abonnement à partir de 14,90 €.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !