Manuel Valls, dircom hollandais


Manuel Valls, dircom hollandais

valls hollande communicationQu’est-ce qu’un écureuil ? C’est un rat pourvu d’un bon attaché de presse ! Voilà, semble-t-il, la leçon qui a été tirée à l’Elysée de la débâcle municipale, conséquence d’une impopularité persistante de l’exécutif. Le choix de Manuel Valls pour remplacer Jean-Marc Ayrault à Matignon a été, dans un premier temps, interprété comme la mise en place, contrainte et forcée, par le président de la République, d’une cohabitation interne à la gauche. François Hollande se replierait sur ses fonctions régaliennes de chef de l’Etat : grande diplomatie et conduite des opérations militaires extérieures, laissant à son premier ministre la haute main sur le gouvernement. Celui-ci, selon la Constitution de la Vème République « détermine et conduit la politique de la nation ». Manuel Valls, candidat à la primaire socialiste en 2012, et ministre de l’Intérieur ensuite, s’est forgé une image de Tony Blair en VF, ne manquant aucune occasion de se démarquer de la gauche traditionnelle et de ses fétiches idéologiques anciens et modernes : il s’est ingénié, avec certain succès, à incarner une gauche décomplexée, acceptant sans arrière-pensées les lois du marché et de la mondialisation, à l’écoute des angoisses sécuritaires et identitaires des populations reléguées dans les zones périurbaines, et soucieuse de maintenir l’ordre républicain – celui qui protège les faibles contre les caïds des cités comme d’ailleurs.

C’est peu dire que la formation du gouvernement Valls était attendue comme la traduction d’une rupture avec la calamiteuse expérience de son prédécesseur : on espérait un vrai patron, mettant en place un dispositif gouvernemental dont il aurait la maîtrise, avec des ministres reconnaissant son autorité, et peu tentés d’aller contester à l’Elysée les arbitrages rendus à Matignon. La ligne social-démocrate définie par François Hollande lors de la conférence de presse de janvier serait précisée dans un sens social-libéral, avec ce qu’il faut de réformes de structures du type Schröder et, à Bercy, des personnalités susceptibles d’incarner cette orientation, Louis Gallois par exemple.

Il n’en est rien : le poids politique personnel que les principaux membres du gouvernement estiment, à tort ou à raison, disposer dans le parti ou dans le pays, leurs liens personnels et anciens, pour beaucoup d’entre eux, avec le président de la République circonscrivent la place réelle que Manuel Valls va désormais occuper : celle de directeur de la communication de l’exécutif et de producteur « d’éléments de langage » à l’usage de ses collègues pour éviter la cacophonie de l’équipe précédente. La première salve de la novlangue du pouvoir a été lancée par le premier ministre, mercredi 2 avril sur TF1 : « Nous sommes tous hollandais !» a-t-il affirmé, et on veut bien le croire ! Exit Valls le briseur de tabous, le défricheur de sentiers délaissés de la gauche retrouvant le chemin du peuple, voici le Valls réduit à sa compétence primaire, celle qui lui permit de gravir les échelons de la vie politique : celle d’un communiquant habile, familier des ficelles du métier grâce à son ami Stéphane Fouks, et auréolé de quelques succès dans ce domaine sous le gouvernement Jospin, et lors de la campagne présidentielle de 2012.

A ce point de l’analyse, on peut se demander ce qui a poussé Manuel Valls à accepter cette mission où il court le risque de dilapider en quelques mois le capital de popularité engrangé lors de son passage place Beauvau. Fait-il passer la loyauté et l’esprit de sacrifice avant la gestion bien comprise de son ambition politique affichée, la conquête de l’Elysée ? En 2020, il n’aura que 58 ans, et beaucoup d’eau aura coulé sous les ponts. Le cas d’Alain Juppé rétabli dans une stature de présidentiable vingt ans après une chute abyssale peut lui servir d’espoir, sinon d’exemple.

Son passage à Matignon lui permettrait alors de combler des manques qui apparaissent une fois dissipés les brouillards de la com’ : la « pensée Valls », hormis quelques intuitions sur la sécurité, le rôle de la nation, le réalisme économique est encore protéiforme. Elle est encore dépourvue de porte-parole influents dans les milieux intellectuels et médiatiques. Face à Terra Nova et à la Fondation Jean Jaurès, aux réseaux d’universitaires cultivés par Martine Aubry prônant une vision multiculturaliste d’une société française pouvant être sauvée par le « care », le système Valls paraît bien faiblard.
S’il parvient, avec les moyens de Matignon, à constituer autour de lui un courant de pensée structuré, appuyé sur des esprits libres et inventifs, soucieux d’appréhender le réel sans a priori dogmatique, il n’aura peut-être pas tout perdu. Mais comme disait l’ancien premier ministre britannique, Harold MacMillan, mort presque centenaire à la fin du siècle dernier : « Ce qu’il y a d’irritant dans la vie politique, ce sont les événements ! » Gérer un cabinet de communication de crise est difficilement compatible avec l’élaboration sereine d’un projet pour l’avenir. On en saura plus dans quelques mois.

*Photo : WITT/SIPA. 00680661_000002.



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