Il y a eu un beau moment dans le discours de politique générale de Manuel Valls. Evidemment, ce moment, il fallait l’entendre. Les bancs de la droite avaient décidé de se comporter comme une classe de ZEP, et encore une classe de ZEP mal tenue par son prof car il y a souvent plus de respect dans une classe de ZEP pour un prof qui sait s’y prendre que sur les bancs de l’UMP pour un Premier ministre qui a l’air de savoir s’y prendre aussi.
Au moins, le prof qui sait s’y prendre n’est pas l’objet d’un procès constant en illégitimité de la part de ses élèves turbulents comme l’est la gauche quand elle est au pouvoir de la part de la droite quand elle n’y est plus. La droite française, c’est son problème, elle se vit depuis toujours comme la propriétaire naturelle du pouvoir. Elle n’a toujours pas écrit le mot « alternance » dans son dictionnaire personnel. Quand la droite voit la gauche arriver au pouvoir, elle se rejoue sur le mode farce, heureusement, Versailles contre la Commune ou Pinochet contre Allende.
Et encore, on dit la droite, on dit la gauche mais tout le monde voit bien que cela s’estompe. C’est peut-être ça qui rend d’ailleurs la droite si hargneuse au point de préférer le chahut un jour aussi solennel que celui d’un vote de confiance. Au point d’indigner Luc Ferry qui a signalé via un réseau social tout ce que ce comportement avait de scandaleux. Oui, ce doit être dur, ou pire incompréhensible pour la droite de s’apercevoir que si un des siens était à la place de Valls, il dirait la même chose que Valls, voire que Valls lui-même pourrait être l’un des siens.
On l’a bien senti à la réplique de Christian Jacob, le président des députés UMP, chargé de répondre à Valls. Les siens ne lui ont pas rendu service, à Christian Jacob. Incarner l’opposition à quelqu’un qui est comme vous requiert des qualités dialectiques que peut-être Jacob n’a pas, comme d’ailleurs beaucoup de ces demi-doués apparus à la faveur de Sarkozy qui ne supportait manifestement pas les intelligences menaçantes. Sauf dans le rôle des conseillers discrets comme Patrick Buisson, le célèbre preneur de son et Henri Guaino, le dernier gaulliste. Parce qu’il faut bien reconnaître tout de même que s’entourer de Nadine Morano, Michèle Tabarot, Guillaume Peltier ou Christian Jacob, ça ne vaut tout de même pas Juppé, Bayrou, Boorloo ou Luc Ferry, justement.
Du coup, la droite s’est comportée comme ceux qu’elles passent son temps à stigmatiser : les ados des cités sans repères qui ne respectent plus rien, n’ont plus la moindre notion des moments où l’on peut déconner et parler zyva et des moments où l’on doit prendre sur soi et faire un effort de correction et de décence. Faites ce que je dis, pas ce que je fais et on s’étonne après que « bouffon » soit devenu l’insulte la plus courante dans les quartiers pour désigner celui qui vient donner des leçons ou incarne une autorité extérieure.
Du coup, on en aurait presque oublié le beau moment du discours de Manuel Valls. C’était quand il a affirmé sa fierté d’être français, et son bonheur d’avoir pu accéder aux plus hautes fonctions d’un pays où naître étranger n’est pas un handicap et que c’était justement pour cela qu’il l’aimait, ce pays. Il y eut un peu de lyrisme, donc, et il fut même question de « cœur battant ». On reconnaîtra que ça ne fait pas de mal, un peu de lyrisme, dans un discours politique. Après tout, nous sommes une vieille nation latine et nous souffrons sans doute beaucoup, sans même nous en rendre compte, de cette parole politique terne, technocratique qui semble s’être généralisée chez nos politiques. On ne peut pas dire, ainsi, que les deux précédents premiers ministres de la France aient brillé par leur lyrisme. Fillon et Ayrault avaient plutôt l’air de comptables dépressifs ou de proviseurs hypocondriaques.
On dira que cette sortie de Valls sur sa fierté d’être le Premier ministre d’un pays qui a su donner sa chance à un petit immigré espagnol était aussi de la communication mais en même temps n’importe qui vous dira que la meilleure des communications, c’est la sincérité. Même ces maîtres en insincérité que sont les communicants en sont convaincus, c’est dire. Et effectivement, Valls a eu raison de souligner ce bel aspect des choses, cette propension de la France à mettre en avant, indépendamment des origines, ceux qui veulent la servir. On pourrait dire que cela a commencé à la fin du XVIIIème avec un lieutenant d’artillerie ambitieux et corse qui a fait à la France de beaux enfants dont certains vivent encore comme le Code civil ou les départements.
Si Christian Jacob avait été utile et de gauche, et manifestement il n’est ni l’un ni l’autre, c’est là-dessus qu’il aurait attaqué Valls et non en essayant de faire croire que son programme économique était catastrophique alors que c’est le même que celui de l’UMP.
Il aurait demandé à Valls si dans vingt ans ou même trente, la France pourrait avoir à nouveau un Premier ministre né à l’étranger. Un Arabe, un Noir ou un Rom. Un ou une qui serait issu des écoles de la République, un qui ne serait pas resté assigné à une identité ethnico-religieuse, fier de servir une France qui lui aurait donné sa chance.
Et là Manuel Valls aurait peut-être été déstabilisé car sur ces questions-là comme sur d’autres, c’est bien un homme de droite comme les autres.
*Photo : LCHAM/SIPA. 00681147_000014.
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