On pourrait dire que Manuel Valls l’a bien cherché, qu’il s’est pris les pieds dans le tapis de l’éthique à deux balles qu’il brandit généralement contre ses adversaires, bref que la sotte polémique provoquée par son voyage à Berlin est un juste retour des choses. Mais outre le fait qu’il serait peu chrétien de vouloir la mort du pécheur, cette affaire me fait honte. Quel scandale en effet, que cet aller-retour en Falcon pour aller voir un match de foot ! La République serait à 20.000 euros près maintenant ? On a un standing à tenir, tout de même, vous auriez voulu quoi, qu’il voyage sur GermanWings ? Qu’il envoie la facture au Qatar ? Entre nous, que Valls préfère un bon match de foot aux débats du PS témoigne plutôt en sa faveur…
Moi, ça ne me choque pas que la France offre deux heures de détente à l’un de ses principaux dirigeants, pour qu’il puisse voir jouer le club de sa ville natale. Ce qui me choque c’est la jubilation de tous les chercheurs de poux dans les têtes, le pharisianisme satisfait de ceux qui haïssent les petits privilèges dont ils sont privés, la joie mauvaise des envieux. Ce qui me choque, c’est que depuis des années, on flatte « l’envie, la jalousie et la haine impuissante », ces passions tristes que Stendhal détestait dans la Révolution française (qu’il aimait par ailleurs) et qu’on fasse croire au peuple que la vertu consiste à toujours regarder dans l’assiette du voisin pour vérifier qu’elle est aussi vide que la sienne. Ce qui me choque, c’est que l’on érige la mesquinerie en valeur morale. Ce qui me choque, c’est que nous acceptions tous de devenir le flic de notre frère – au nom de l’immaculée transparence. Ce qui me choque, c’est que personne n’ait trouvé pitoyable que l’on ait amusé le bon peuple en édictant dès 2012 une « charte de déontologie » gouvernementale (et on leur a aussi interdit de regarder les filles, à nos ministres ?) Ce qui me choque, c’est que le Premier ministre de la France réponde aux inquisiteurs au lieu de les envoyer sur les roses.
Alors bien sûr, Manuel Valls n’aurait pas dû faire subir à ses adversaires les tourments qu’on lui inflige aujourd’hui, par exemple en hurlant au scandale pour un déplacement de Nicolas Sarkozy au Havre payé 3200 euros par les militants UMP. Moi, comme contribuable, ce que j’aimerais, c’est qu’on arrête de dépenser mon argent pour abêtir les enfants, cracher sur notre histoire ou traquer les dérapages langagiers. Mais pour le voyage à Berlin, si ça fait du bien au Premier ministre, je suis pour. Et si ça lui fait plaisir, je lui offre en prime le maillot du Barça. Avec l’argent du contribuable.
*Photo: JEFFROY GUY/SIPA. 00710660_000006.
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