Adressant ses vœux à la presse, le 20 janvier, le Premier ministre a pris l’apparence du responsable sérieux et de l’analyste objectif de la société française. Pour cela, il a accablé notre pays en l’assimilant à l’Afrique du sud sous le pouvoir blanc, et à l’Amérique de la ségrégation. C’est honteux, c’est dégueulasse, mais ça peut marcher : « Ces derniers jours ont souligné beaucoup des maux qui rongent notre pays ou des défis que nous avons à relever. À cela, il faut ajouter les fractures, les tensions, qui couvent depuis trop longtemps, et dont on parle uniquement par intermittence, et après on oublie, c’est ainsi ! Les émeutes de 2005, qui aujourd’hui s’en rappelle ? Et pourtant les stigmates sont toujours présents : la relégation périurbaine, les ghettos, que j’évoquais en 2005 déjà. Un apartheid territorial, social, ethnique s’est imposé à notre pays. La misère sociale à laquelle s’additionnent les discriminations quotidiennes, parce qu’on n’a pas le bon nom de famille, la bonne couleur de peau, ou bien parce qu’on est une femme. Il ne s’agit en aucun cas, et vous me connaissez, de chercher la moindre excuse, mais il faut aussi regarder la réalité de notre pays. »
Il n’y a pas d’apartheid en France. M. Valls, Premier ministre qui voudrait avoir l’habileté de son ambition, ne saurait, sans se ruiner de réputation, demeurer à la tête d’un gouvernement qui prônerait officiellement et par la loi le développement séparé des races. Mais, dans la bouche du chef du gouvernement, l’emploi de ce terme est loin d’être innocent, et bien près d’être répugnant.
Manuel Valls doit pourtant avoir le souvenir d’un incident, qui lui fut cuisant. Le 10 juin 2009, il s’était fait remarquer par une observation à voix haute, dans une brève séquence filmée qui le montrait en maire d’Evry pressé, satisfait, un peu arrogant, et surtout oublieux – apparemment ou volontairement – d’un indiscret micro-cravate, alors qu’il était filmé par la chaîne Direct 8 pour l’émission Politiquement parlant, qu’animait avec entrain une journaliste nommée Valérie Trierweiler. Circulant au milieu des stands de ce qui semblait être un marché ou une brocante, et considérant la surreprésentation des minorités ethniques, il avait lancé au factotum qui le suivait : « Belle image de la ville d’Evry ! Tu me mets quelques Blancs, quelques Whites, quelques Blancos. »
Concert de cris d’orfraie ! Le fringant socialiste de pouvoir fut accablé du soupçon de racisme, vilipendé, condamné. M. Valls montrait son vrai visage, arrachant ainsi son beau masque d’hidalgo cambré ! Il se défendit sur le plateau de Direct 8 avec des « éléments de langage », dont ne furent pas dupes les moralisateurs de la chose publique : « Evidemment avec les stands qu’il y avait là, [j’ai eu] le sentiment que la ville, tout à coup, ça n’est que cela, (…) alors que j’ai l’idée au fond d’une diversité, d’un mélange, qui ne peut pas être uniquement le ghetto. On peut le dire, ça ? (…) On a besoin d’un mélange. Ce qui a tué une partie de la République, c’est évidemment la ghettoïsation, la ségrégation territoriale, sociale, ethnique, qui sont une réalité. Un véritable apartheid s’est construit, que les gens bien-pensants voient de temps en temps leur éclater à la figure, comme ça a été le cas en 2005, à l’occasion des émeutes dans les banlieues. »
Apartheid ! Ce mot infâme était déjà prononcé par le jeune politicien, afin de se tirer d’un mauvais pas. Ah les bien-pensants, ces cousins en ligne directe des « mieux-disants culturels », comme ils sont utiles aux socialistes de pouvoir, lorsqu’il s’agit pour eux de s’affranchir de la « banalité du mal » français ! Le socialiste de pouvoir ne saurait être un bien-pensant. Au contraire, le socialiste de pouvoir est un affranchi, un être de la rupture et du combat contre toutes les injustices. Il démontre une vivacité d’adaptation, augmentée d’un altruisme totalement étranger à un conservateur, lequel est par nature et destination crispé, replié sur ses privilèges. C’est pour ces raisons que les riches socialistes de pouvoir ont mérité leur prospérité, et que les conservateurs l’ont usurpée. Les premiers sont légitimes, les seconds intolérables. Il est sain de vilipender un conservateur, il est vilain d’accuser un socialiste de pouvoir. Derrière un conservateur, il y a une femme arrogante, des enfants capricieux, une maîtresse cupide en bas de soie noirs, des relations de mondanité froide ; derrière un socialiste de pouvoir, il y a une femme digne, des enfants solidaires, une maîtresse aimante, des amitiés solides. Il arrive que les choses ne se passent pas précisément comme l’ordre de la morale laïque et obligatoire l’exigerait, alors un chœur s’élève et reprend la formule : « Cela ne lui ressemble pas, ce n’est pas l’homme que je connais ! » Le socialiste de pouvoir n’est d’ailleurs pas un homme que l’on connaît mais un homme que l’on imagine.
Manuel Vals, par son discours à la presse, a émis un signal en direction des banlieues, des pauvres, des femmes, des émigrés, de l’ultra-gauche, enfin de tous ceux qui constituaient les réserves électorales du Parti socialiste, et qui lui permettaient de gagner quelques précieux points en cas de ballotage. À ces franges utiles, à ces masses d’appoint, détournées de leur fonction de vote utilitaire, il désigne le crime suprême de la France, prétendue patrie des droits de l’homme, mais en réalité l’autre pays de l’apartheid.
Il faut voir dans cette calomnie d’État un vrai programme politique, qui déploiera ses sortilèges dans les deux années à venir. Qu’importe à M. Valls que la France, généreuse, méthodique, supérieurement organisée, hantée par son devoir social et moral, ait courageusement affronté la très délicate question de l’exclusion : son programme de rénovation urbanistique est sans équivalent en Europe et peut-être dans le monde. L’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) a versé 1 milliard d’Euros en 2014 (7,6 milliards depuis les débuts opérationnels de l’Agence, soit une quinzaine d’année). Cet argent a largement contribué à l’amélioration de conditions de vie dans les « quartiers ».
Mais cela est balayé d’un revers de communication. La déclaration de M. Valls a valeur de programme. Nous n’en avons pas fini avec le péché d’apartheid. Il faut absolument maintenir la fiction d’une France aigrie, peureuse, repliée, et de ses « souchiens » racistes, antisémites, prêts à toutes les compromissions pétainistes, à toutes les soumissions coraniques. Rokhaya Diallo s’en réjouira, qui s’oppose à la loi contre le voile. À Télérama.fr, le 14 janvier, elle tenait ces propos : « Notre pays est malade : la France est une mère-patrie qui ne reconnaît pas une partie de ses enfants. Dans ces cas-là, quand on n’a pas l’attention de ses parents, on va se chercher d’autres parents… Et parfois ces parents, ce sont des extrémistes qui encouragent des actes abominables. C’est ce qui s’est produit. […] La France s’est toujours vendue comme un pays qui vit en harmonie avec ses minorités. Mais je suis désolée, il y a eu une marche pour l’égalité en 1983 : il ne s’est rien passé après. Il y a eu des émeutes au début des années 90 : il ne s’est rien passé après. Puis des révoltes en 2005, en 2007, en 2009… Toujours rien. Il n’y a pas eu de réponse politique à toutes ces expressions de colère, de rage parfois, qui ont été manifestées par les habitants des quartiers populaires. De façon concrète, je pense qu’il faut vraiment adopter aujourd’hui une vraie politique d’égalité. La crise économique creuse les inégalités entre les citoyens. François Hollande a été élu sur un programme de gauche mais il ne montre aucun signe d’intérêt pour les populations les plus fragiles, or la pauvreté est l’un des terreaux de ce type de comportement. Tant qu’il y aura des inégalités criantes, l’existence de discriminations économiques et politiques, on donnera des arguments pour séduire les personnes les plus instables psychologiquement, les plus fragiles et les plus enragées. »
Pourtant, la France a parfaitement « reconnu ses enfants Kouachi », lesquels, orphelins de père, sans ressources, ont été placés à la Fondation Claude Pompidou des Monédières, magnifique région de Haute-Corrèze. Ils y ont suivi une scolarité normale de 1994 à 2000 : « Ils ont bénéficié d’un encadrement adapté. Ils ont été scolarisés au collège […], ont fait des efforts à ce niveau-là […], n’ont posé aucun problème de comportement. Ils étaient passionnés de football […], totalement intégrés à l’établissement » (Patrick Fournier, chef du service éducatif de l’établissement, directeur adjoint du centre).
Mais je crains que cet argumentaire laisse de marbre Rokhaya Diallo, qui déclarait sans rire dans l’émission L’Info.com du 11 mars 2011, que la France avait « beaucoup de choses à apprendre des États-Unis [pour tout ce qui est relatif aux minorités et] pour protester contre les discriminations » !
*Photo : Philippe Wojazer/AP/SIPA. AP21681268_000008.
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