De l’extrême gauche (c’est compréhensible !) à Marine Le Pen, en passant évidemment par Emmanuel Macron, tout le monde politique s’est fourvoyé à honorer ainsi les Manouchian, déplore cette tribune libre.
« Parce qu’ils sont communistes, ils ne connaissent rien d’autre que la fraternité humaine. » Cette phrase prononcée par Emmanuel Macron pendant la cérémonie de panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian a résonné comme un coup de tonnerre dans les âmes des Français qui s’intéressent à l’histoire du communisme en général et du communisme français en particulier.
Contre-vérité
Elle efface d’un trait de plume le plus grand crime idéologique jamais commis sous le ciel des hommes : des nations dévastées par dizaines, des myriades de fosses communes sur trois continents, une bonne centaine de millions de morts par la famine ou la balle dans la tête, et des mensonges tellement innombrables qu’ils infestent encore, à bien des égards, la politique mondiale. Disons-le sans ambages : si ceux qui ont adhéré au communisme n’avaient connu que la fraternité humaine, il n’y aurait jamais eu de communisme. Ils ont, bien au contraire, connu la manipulation, la trahison, le cynisme, la haine assumée, la torture, les camps de concentration, l’assassinat de masse. Tous en ont été les complices plus ou moins conscients. Certains, quand la révolution dévorait ses enfants, en ont même été les victimes, et ont compris trop tard qu’en prenant leur carte du Parti, ils avaient signé un pacte avec le diable – leur imprudence ne les excuse pas.
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La phrase du président de la République est donc, qu’on s’en scandalise ou non, un acte de révisionnisme caractérisé. Elle ne se contente pas de réécrire l’Histoire : elle l’enterre. En faisant du choix communiste un pur acte d’amour, elle en nie la réalité, la vilénie, l’extrême culpabilité. Car enfin, comment aurait-on réagi, si Macron avait dit, aux obsèques d’un ancien de la Wehrmacht, « Parce qu’ils étaient nazis, ils ne connaissent rien d’autre que la culture allemande » ? On aurait hurlé. Pourtant, dans la classe politique, très peu de voix se sont élevées contre l’énorme contre-vérité lancée à la face de la nation, mercredi soir au Panthéon. On peut comprendre ceux qui se sont tu, serrant les dents et les poings, préférant laisser passer l’orage. À quoi bon, en effet, perdre son temps à condamner une cérémonie particulièrement infantile, où l’on dut subir force chansons exécutées avec une grande niaiserie, assorties de deux extraits de l’Internationale et d’un poème d’Aragon, grand poète mais prédateur bien plus grand encore, l’homme qui écrivait en hommage aux purges staliniennes « J’appelle la Terreur du fond de mes poumons » ? Il était loisible de regarder passer sans aboyer la caravane du ridicule.
Capitulation
Bien entendu, la gauche a adoré. Les communistes d’abord, car cette grande fiesta du drapeau rouge leur lavait un peu les mains. Les socialistes également, eux qui ne gagnent jamais une élection sans s’allier avec leur cousin totalitaire. Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, a dansé sur la table. Il s’est très officiellement réjoui. Mais de quoi, au juste ? Il faut toujours écouter Mélenchon avec la plus grande attention, car son flair de tacticien, allié à sa rage systématique, lui fait parfois proférer des vérités intéressantes. Sur Twitter, il a lancé que les Manouchian « ont obtenu la capitulation sans condition de l’extrême droite, qui a rendu hommage à la résistance communiste ». Bigre. Qu’est-ce à dire ?
Marine Le Pen, malgré les herses dressées contre l’éventualité de sa présence lors de la cérémonie, a tenu à s’y inviter. En effet, mélangeant hâtivement la méthode Coué et le voyage dans le Temps, et balançant la Constitution par-dessus bord, elle considère que les sondages des européennes tiennent lieu d’élection présidentielle anticipée : elle a donc décidé mordicus qu’elle est d’ores et déjà la prochaine présidente de la République, trois ans avant l’échéance. Elle se doit de faire acte de présence à toutes les grand-messes du culte national. Elle a joué des coudes avec la morgue qu’on lui connaît et obtenu un strapontin dans la crypte. Pour un peu, elle exigeait de prononcer le discours de clôture en lieu et place de Macron, flanquée de Bardella en tenue de premier communiant.
Ici, le bât blesse. Car, malgré qu’elle ne se dise « ni de gauche, ni de droite », et que son électorat soit aujourd’hui composé pour moitié d’ex du PCF et du PS, Marine Le Pen est supposée issue d’une lignée anticommuniste. On peut ô combien reprocher à son père d’avoir festoyé avec des chevaliers teutoniques de la pire espèce, mais on ne l’a jamais surpris à faire la bamboche avec des bolchéviques. En mettant un genou en terre devant les cercueils des Manouchian, elle opère une rupture majeure avec la tradition de famille politique. Mélenchon a raison d’éclater de rire. Il sait lui, le disciple de Staline, le possédé dostoïevskien, ce qu’il en coûte de jouer avec les allumettes de l’enfer totalitaire. Il s’écrie avec bonne humeur : « Bienvenue au club, Marine ! Entre ici, avec ton cortège d’hypocrisies ! La porte s’est refermée derrière toi et je veillerai à ce qu’elle ne se rouvre plus jamais ! » Oui, la présence de Marine Le Pen sur l’étagère des têtes réduites du communisme est un événement crucial. Il entérine le basculement du RN dans un espace idéologique où tout est permis, brumeux, vaseux, mouvant tel des sables qui sont autant de pièges, y compris l’absolu désaveu de soi : un no droite’s land où l’on impose aux militants honnêtes les torsions morales les plus douloureuses. On s’en doutait. On n’en doute plus.
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Elle sent bien qu’elle est allée trop loin. Le lendemain de la panthéonisation, elle tweete : « Honorer un résistant fusillé par les nazis : cent fois oui ! En profiter, comme le fait Emmanuel Macron, pour faire l’éloge d’une idéologie meurtrière, c’est gravissime. » Trop tard. Mélenchon a vu juste : la génuflexion devant le stalinisme ne s’oublie pas. Cette posture ne permet pas la marche arrière. Il n’y a pas de « en-même-temps » entre le révisionnisme et l’intégrité. En se rendant à cette cérémonie, Marine Le Pen savait parfaitement que Macron allait rendre gloire au communisme. En y assistant, elle y a donc participé activement, physiquement, quelles que soient ses dénégations. Seul un mea culpa pourrait encore la sauver, et ce n’est guère le genre de la maison. La voilà enfermée dans le gravissime qu’elle dénonce.
Désolant
Elle n’est pas la seule, hélas. Car il y a François-Xavier Bellamy, qui se tortille avec elle dans la fange mélenchonienne. À cette différence près qu’il n’a pas l’alibi d’avoir été élevé par un butor friand de provocations. Il a grandi à l’ombre de l’Église, du scoutisme et des meilleures écoles. Bellamy est un doux. Féru de philosophie, vraiment chrétien, pétri de bonnes manières, il se fait remarquer par sa prudence. Le peuple de droite dit volontiers de lui qu’il a une jolie cervelle et une belle éthique. Mais patatras ! Il déclare sur France Inter : « Missak et Mélinée Manouchian ont engagé leurs vies pour que la France survive à la menace totalitaire. » C’est terriblement faux. Missak et Mélinée étaient d’authentiques staliniens, avec tout l’aveuglement intellectuel et la violence intentionnelle que cela suppose. Ils incarnaient la menace totalitaire autant que les nazis qu’ils combattaient. Qu’ils aient fini fusillés est certes émouvant et leur procure un visa pour le pardon, mais cela ne fait en rien d’eux des héros de la démocratie, ni du pluralisme, et surtout pas de la tolérance.
Missak a adhéré au PCF au moment où le NKVD lançait la Grande Terreur en URSS. Il était aux ordres des dirigeants de son parti – un parti où l’on pouvait aller jusqu’à tuer d’une balle dans le dos un militant insuffisamment aligné sur les idées du Kremlin. Le manouchianisme n’est pas un humanisme. À mon humble connaissance, il n’y a pas, dans l’Allée des Justes à Jérusalem, d’Allemands qui ont adhéré au parti nazi en 1941. L’assertion de Bellamy est une insulte à tous les résistants qui ont combattu non seulement la SS, mais aussi la tentation soviétique. Eux sont les vrais modèles, les défenseurs de la liberté. Eux méritent le Panthéon.
Ne dressons pas la liste des politiciens de droite qui, comme Marine Le Pen et François-Xavier Bellamy, ont donné dans le révisionnisme de gauche cette semaine. Ils sont désolants. Accordons plutôt du crédit à ceux qui ont gardé le silence par pudeur. Et applaudissons l’historien Stéphane Courtois, illustre spécialiste du communisme, qui est monté, en solitaire, au créneau de la vérité. Il a démontré, dans le Figaro et Desk Russie, que l’héroïcisation des Manouchian constituait une opération de propagande menée par l’Union Soviétique, et que les deux panthéonisés étaient en réalité des personnages fort peu recommandables, encore moins admirables. Courtois a fait son métier : montrer le réel, même quand il est grimaçant et qu’il infirme de manière implacable l’unanimité des faux-semblants.
Nous nous sommes débarrassés de Faurisson. C’est bien. Mais le plus dur reste à faire : nous devons encore demander des comptes au révisionnisme communiste français et à tous ceux qui, à droite, lui prêtent main-forte. Parce que cent millions de morts nous le demandent du fond de leurs tombeaux, la plus grande sévérité est requise. La gauche a fait ses gorges chaudes du fait que Manouchian était un étranger. Une fois de plus, elle nous trompe : qu’il soit de souche ou immigré, quelle que soient ses origines, sa couleur de peau, sa religion ou ses convictions, aucun totalitaire ne doit trouver le repos éternel au Panthéon.
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