Ta chevalière en or courait sur le manche de ta guitare.
Brigitte, les yeux mi-clos, souriait de bonheur quand tes doigts suspendus à tes cordes accéléraient, ralentissaient, dansaient puis communiaient avec l’âme du peuple gitan.
Ce don pour faire crier le flamenco, tu l’avais reçu en héritage de ton oncle dans une caravane de Sète, tout près des terres humides de Camargue.
Aux Saintes-Maries, enfant, tu étais déjà un dieu, tes petites mains d’argent valaient de l’or.
Un jour, avant de partir à New York, pudique et timide, tu avouais à Denise Glaser ta peur de prendre l’avion.
Bientôt, tu rouleras en Rolls, toi qui avais usé tes semelles dans la poussière du Midi, toi qui avais souffert du regard des autres, tu serais l’ambassadeur des gitans, celui qui passait à la télévision dans les années 60, qui tutoyait Dali, qui enchantait François Périer et que Steinbeck qualifiait de grand artiste sauvage.
Chaque année, tu honorais Sara, ta sainte patronne.
Animé par un rythme céleste et un feu intérieur, ton flamenco que les académies dédaignaient parfois, avait une telle force, une telle vivacité qu’il touchait les gens en plein cœur.
Picasso, en dédicaçant ta guitare, t’avait reconnu comme un frère, un égal.
Après ton triomphe au Carnegie Hall où les diplomates du monde entier t’avaient applaudi durant de longues minutes, toi, le gamin aux cheveux noirs, tu en avais tiré aucune fierté.
Tu disais : « je suis gitan et je resterai gitan toute ma vie », le succès n’y changerait rien.
Aujourd’hui, dans ton studio de fortune à la Grande Motte, ruiné, on ne parle plus de toi, on n’écrit plus sur toi, et pourtant, tu as été une lumière, une étoile qui fit du flamenco, un art majeur, une musique de fête qui tord les corps à l’approche de l’été.
Tu t’appelles Ricardo Baliardo, on te connaît sous le nom de Manitas de Plata et cette année, tu fêtes tes 92 ans.
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