La jeunesse est dans la rue – en tout cas, quelques dizaines de milliers de ses représentants. Cette menace, toutes les générations l’ont proférée à l’adresse des gouvernants. Battre le pavé fait partie des rites d’initiation. Après tout, si ce groupe mythique que l’on appelle « les jeunes » s’incarne, de loin en loin, dans l’action collective, cela veut peut-être dire que l’individu-roi n’a pas totalement triomphé.
Alors, bien sûr, on peut juger que les lycéens sont à côté de la plaque en s’opposant à une réforme qui permet, faute de mieux, de sauver les meubles de la retraite par répartition. On peut trouver inquiétant et même déprimant qu’ils se soucient de l’âge auquel ils pourront cesser de travailler avant même d’avoir commencé, comme si l’âge adulte n’était plus un état désirable mais un mauvais moment à passer, comme si passer du lycée à la maison de retraite était la dernière utopie que l’on ait en rayon. Il est vrai que, comme l’a excellemment observé Luc Rosenzweig, ces petits-enfants de soixante-huitards que l’on menace du chômage depuis l’enfance, voient leurs parents trimer quand leurs grands-parents, après avoir joui sans entrave et goûté aux joies des stocks-options, hésitent entre croisière et camping-cars : il y a sans doute de quoi être découragé. Il n’est pas certain, cependant, que ce soient les plus précaires ou ceux qui sont le plus menacés de le devenir qui défilent dans nos rues et bloquent leurs lycées. « Chez moi, on est neuf. Alors je dois aller en cours pour avoir un bon métier plus tard. Ce blocage sabote notre avenir », déclare dans Libération Ryad, élève au lycée Voltaire. Bref, la révolte est encore largement un luxe de petits-bourgeois. Interrogée dans le même article, Sophia qui fait partie des initiateurs du blocus reconnaît qu’elle fait un peu ça « pour louper les cours ». Sophia aimerait être agent immobilier « pour avoir une belle maison et gagner assez d’argent pour finir dans l’humanitaire ». Si ce n’est pas de l’idéalisme. On notera au passage que ce 15 octobre, soit, plus d’un mois après la rentrée, Lucie-Lou, élève dans le même lycée, a réussi à assister à son cours de philo, le premier de l’année.
À les entendre s’exprimer, on se dit aussi que ces grands bébés ne comprennent pas grand-chose aux slogans qu’ils ânonnent avec une maitrise de la langue de bois digne des vieux routiers de la politique et du syndicalisme. Pour ma part, ce qui me rend perplexe, c’est l’aisance avec laquelle ils se considèrent à la fois comme des victimes et des ayants-droit : on dirait que leur problème n’est pas de changer le monde mais qu’on l’aménage pour eux. En se comportant comme des créanciers qui réclament leur dû, nos jeunes rebelles prouvent au moins qu’ils sont des Français comme les autres.
En les caressant dans le sens du poil, les socialistes qui sont assez contents que Sarkozy fasse le sale boulot, même mal, font preuve de démagogie et d’une bonne dose d’hypocrisie. Reste qu’en agitant le spectre de la violence pour discréditer les manifestants, c’est le gouvernement qui se montre irresponsable. Avoir peur de la jeunesse ou faire semblant d’avoir peur, c’est admettre qu’on est incapable de maintenir l’ordre. Que le gouvernement critique politiquement ceux qui le défient dans la rue, c’est de bonne guerre, qu’il tienne bon face aux grévistes, c’est logique, mais la mission du ministre de l’Intérieur et de la police est aussi de garantir l’exercice du droit de manifester. Après tout, peut-être que les jeunes sont cons, mais ça aussi, c’est un droit.
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