Nous vivons une période trouble. Perte des repères, déliquescence des élites, vulgarité généralisée : le laid a peu à peu envahi notre société. Nos politiques sont habillés comme des représentants de commerce, nos acteurs se vautrent dans des tenues où le négligé côtoie allègrement le crado et l’homme de la rue a définitivement perdu la bataille de l’élégance. Il suffit de regarder nos vieilles photos de famille pour que la vérité (terrible) éclate enfin à nos yeux. Le constat est sans appel. Nos grands-pères avaient tout simplement de l’allure. Riches ou pauvres, ils avaient la décence de se vêtir convenablement. Comment remédier à cette situation ? Croire en un monde meilleur où les hommes s’afficheraient à la ville en costume de tweed et cravate en tricot, chausseraient des souliers cirés et patinés, s’harnacheraient de bretelles en soie ou enfileraient des demi-bas en fil d’Ecosse.
Une solution : partir à la recherche de nos plus illustres dandys britanniques. C’est ce qu’a imaginé le mouvement Chap que l’on peut traduire par « bon gars » et qui fait référence à l’expression « Old chap » utilisée par les héros de la bande dessinée Blake et Mortimer. Née au début des années 1990 en Angleterre, cette confrérie a réinventé les codes vestimentaires et une manière quasi-libertaire de se comporter en société. Composée d’anarchistes de la fripe qui se disent résistants, cette association lutte contre la standardisation ambiante. Elle prône le retour à des valeurs que certains trouveront loufoques ou excentriques comme, par exemple, le chapeau melon, l’usage de la pipe ou de façon encore plus surréaliste, le lancer de sandwich au concombre.
Plus qu’un délire potache, le Chapisme est une nouvelle « idéologie » où se mêlent humour anglais, belles manières et refus farouche de cautionner cette uniformisation qui touche l’ensemble des hommes modernes. Cette bande de gentils activistes a donc publié son manifeste politico-vestimentaire sous le titre Savoir-vivre révolutionnaire pour gentleman moderne. La traduction en français de cet opuscule a d’abord paru aux Editions des Equateurs en 2010, préfacée par Olivier Frébourg qui avait jadis écrit l’admirable Roger Nimier, trafiquant d’insolence. Elle reparaît aujourd’hui chez Points en version poche. Ce guide pour gentleman recèle des dizaines de conseils pratiques qui vont de la manière de s’habiller pour lire, pour le tennis, pour la lutte ou plus subversif, cette méthode quasi-scientifique « pour tirer au flanc au travail », sans oublier un mystérieux passage consacré à « la sémiotique de la cigarette » qui permet de décrypter le fumeur que vous êtes réellement.
Derrière ces astuces et calembours, le Chapisme insuffle des vertus euphorisantes dans une époque complètement sclérosée. Il conseille aux hommes de ne plus se prendre au sérieux et surtout de soigner leur apparence. Le Chapisme est à l’opposé du bling-bling. Les gourmettes en or, les montres clinquantes et les attitudes de pubards des années 80 à la poubelle. Place aux concours de moustaches en forme de guidon, de claques ou aux joutes endiablées de parapluie ! Non, vous ne rêvez pas. Le Chapisme est un condensé de politiquement incorrect à la croisée des Monty Python et de Woody Allen. Un humour décapant au service de l’élégance. Selon Olivier Frébourg, les maîtres à penser de ce mouvement anticonformiste sont majoritairement des sujets de Sa Majesté, ils se nomment Oscar Wilde, Chesterton, Wodehouse, Winston Churchill et un certain David Niven, icône classieuse du cinéma des années 50 et 60. Dans une France fatiguée, aigrie et désabusée, adoptez ce manuel intello-chic du No Sense comme guide de vie.
Le Manifeste Chap de Gustav Temple et Vic Darkwood – préface d’Olivier Frébourg – Traduction Anne Maizeret – Points, 2013.
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