L’idée de l’animalité de l’homme, devenue banale aujourd’hui, n’aurait rien de choquant, si elle ne s’accompagnait pas de la négation de tout ce qui sépare l’homme de l’animal…
« Imaginez cette fable: une espèce fait sécession. Elle déclare que les dix millions d’autres espèces de la Terre, ses parentes, sont de la nature. A savoir: non pas des êtres, mais des choses, non pas des acteurs mais le décor, des ressources à portée de main. Une espèce d’un côté, dix millions de l’autre, et pourtant une seule famille, un seul monde ». C’est ainsi que se présente le dernier livre de Baptiste Morizot, Manières d’être vivant, que publient les éditions Babel / Actes Sud. Livre inclassable et passionnant, écrit par un jeune philosophe qui est aussi pisteur de loups dans le Vercors.
Une curieuse philosophie
L’auteur se défend de tout « antispécisme » et de tout « égalitarisme » entre l’homme et les autres espèces. Pourtant son livre laisse une impression dérangeante. J’ai ressenti à sa lecture le même sentiment qu’en regardant sur Netflix la belle série documentaire consacrée aux Parcs nationaux du monde, présentée par Barak Obama. Dans un cas comme dans l’autre, des objectifs très louables (préserver la diversité des espèces, etc.) sont présentés avec talent – avec une écriture souvent poétique chez Morizot et des images incroyablement belles sur Netflix – mais avec aussi une philosophie discutable et inquiétante.
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Pour la résumer en quelques mots, cette philosophie prétend que l’homme est un animal comme les autres et qu’il n’a aucune raison de se croire différent (et encore moins supérieur) aux autres. Lorsque l’auteur évoque notre « ascendance commune » avec les « autres animaux », il peut sembler énoncer un truisme. Lorsqu’il raconte ses virées nocturnes sur les traces des loups et relate ce « sentiment étrange » d’appartenir « tous à la même grande meute multispécifique », il nous dit en fait que l’homme n’est qu’un loup. Cette idée de l’animalité de l’homme – devenue si banale aujourd’hui qu’on a peine à la contester – n’aurait rien de choquant, si elle ne s’accompagnait pas en effet le plus souvent de la négation de tout ce qui sépare l’homme de l’animal, de tout ce qui lui confère sa dignité éminente.
L’homme a un statut unique
A l’ère du grand magma idéologique et de l’égalitarisme absolu qui caractérise notre temps, il devient difficilement audible de rappeler que l’homme n’est pas qu’un animal. Il possède une âme, un libre-arbitre, un langage qui le séparent radicalement du reste de la création. Le passage consacré au « langage des loups » est révélateur à cet égard. L’auteur décrit avec force détails et avec un grand savoir comment communiquent les loups entre eux et comment ils répondent à ses propres hurlements. Mais il en déduit de manière très forcée que « le hurlement du loup » est « performatif », tout comme le « je t’aime » selon Roland Barthes… comparaison révélatrice.
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Peut-on encore rappeler qu’aucune espèce animale ne connaît de véritable langage et que toute comparaison entre les langages animaux et le langage humain repose sur un présupposé idéologique et sur un anthropomorphisme largement abusif ? A-t-on encore le droit de dire que l’homme est bien plus qu’un animal, car il est capable de sentiments élaborés, de projets et de pensée ? L’idée de nature que conteste Baptiste Morizot n’a pas été véritablement remplacée, car ni le concept de « cosmos » ni celui de « planète » qui sont aujourd’hui utilisés ne rendent compte de la place de l’homme dans la nature et dans l’univers et ne font droit à son statut unique.
L’anthropologie biblique tellement contestée par les écologistes de tout poil (Morizot ne fait pas exception à cet égard) n’a pas été dépassée depuis deux mille ans, dans sa manière si intelligente de décrire la spécificité de l’homme, créature duelle, proche de l’animal mais en même temps tellement différent de lui. L’alternative à l’idée biblique de l’homme comme joyau de la création reste donc en définitive le plus souvent, aujourd’hui comme hier, celle de l’homme loup pour l’homme…
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