Samedi 22 mai s’est tenu à Rotterdam le concours de l’Eurovision 2021, ce spectacle clinquant que tout le monde prend un plaisir coupable à regarder. La France y fait depuis des années de bien piètres performances depuis L’oiseau et l’enfant de Marie Myriam en 1977. Un groupe italien s’est démarqué cette année.
Après les excentricités cheap de Bilal, en 2019, le chanteur qui aime se travestir sans posséder la classe du personnage de Comme ils disent d’Aznavour, la France a misé cette année sur Barbara Pravi, honorable chanteuse « piafesque » qui malgré son énergie et son application à agiter les bras ne remporta que la deuxième place.
En direct de 1973
Contre toute attente et grâce aux votes du public, ce sont les italiens de Maneskin, groupe de jeunes gens assez gracieux, androgynes, maquillés et attifés comme l’étaient les chanteurs de glam rock anglais en 1973, qui l’ont coiffé au poteau. C’est pour cette raison, qu’en grande amatrice de ce mouvement qui fut très populaire en Angleterre, et qui reste un peu méconnu en France, je fus, pendant quelques heures, enchantée de cette victoire. Seulement n’est pas Marc Bolan qui veut. Mais qui sont ces petits Italiens qui, en l’espace de vingt-quatre heures, nous ont gratifiés du combo « sex drugs and rock’n’roll », chose assez inhabituelle à l’Eurovision ?
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Maneskin, qui signifie « clair de lune » en danois, n’en est pas à son coup d’essai. Le groupe a été fondé par Victoria De Angelis, la bassiste, qui est danoise par sa mère, et par Thomas Raggi le guitariste. Ils participent en 2017 à la version italienne de X Factor, un télé crochet, et juste avant leur victoire à l’Eurovision, raflent la première place du festival de Sanremo, où Luigi Tenco, amant de Dalida, se donna la mort en 1967. Le groupe n’est donc pas si factice que ça, à la fois terriblement dans l’époque, et avec un pied dans une certaine tradition, avec leur chanson, Zitti E Buoni qui évoque le glam rock, et leur participation à l’institution qu’est, en Italie, le festival de Sanremo. Le fait que la bassiste soit une femme évoque Suzi Quatro, chanteuse et bassiste connue pour son tube glam Can the can, et lorsque du rock est chanté en italien (qui n’est pas forcément une langue qui s’y prête), on ne peut s’empêcher de penser au grand Adriano Celentano.
Leur jeu de scène est impeccablement étudié, le chanteur Damiano est à la fois maniéré et viril, et bassiste, guitariste et chanteur alignés, comme ils le font, est une geste typiquement glam. Le chanteur et le guitariste se mettent face à face et l’on entrevoit un instant Bowie et Mick Ronson chantant Starman. Tout cela, même étudié, a apporté un sacré vent de fraîcheur et de liturgie rock’n’rollesque au milieu du défilé de blondes interchangeables qui ânonnaient une soupe pop sans saveur.
Dandysme baudelairien
Mais, nous le savons depuis que Debord a popularisé la formule de Hegel: « le vrai est un moment du faux », ou l’inverse. Car dans le cas de Maneskin ce serait plutôt le faux qui est un moment du vrai. Les petits Italiens, vraisemblablement fabriqués, ont tout de même fait jaillir un moment de sincérité inconsciente à l’Eurovision. Et cela est rare. D’ailleurs, le glam rock est entièrement construit sur l’artifice, comme l’explique Simon Reynolds dans sa brillante somme de six cents pages Le choc du glam : « C’est par leur côté artificiel que s’était fait remarquer le glam rock : ses acteurs étaient despotiques, ils dominaient leur public comme le font les véritables entertainers (…) le glam adoptait en toute conscience, costumes, accessoires et théâtralité ».
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En effet, le glam, qui est apparu en réaction au naturalisme de la protest song, est un mélange de vulgarité, d’outrance et de raffinement. Marc Bolan, qui en est le King, l’illustre parfaitement avec sa sensualité sauvage et poseuse, en affolant les jeunes filles qui lui envoyaient leur culotte et en faisant couler l’encre des critiques rock de l’époque, qui évoquaient pêle-mêle à son sujet : Oscar Wilde, la mage blanche et même Shakespeare. Le glam est une alchimie, où le trivial côtoie la poésie. Le glam est baudelairien. De l’artifice aux paradis artificiels il n’y a qu’un pas. En effet, dès le lendemain, des photos du chanteur en train de sniffer (ou pas) de la cocaïne en public, ont envahi les réseaux sociaux, comme un supplément de soufre, un condensé de rock’n’roll. Encore une fois, est-ce faux ? Est-ce vrai ? Sûrement les deux à la fois. Et d’ailleurs, peu importe.
Nous le savons depuis Lou Reed, le rock’n’roll a sauvé des vie (et en a beaucoup détruites). En l’occurrence, le 22 mai 2021, il a sauvé l’Eurovision.
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