Récemment l’ami Jérôme m’a demandé tout à trac si une Série noire avait changé ma vie. Sans aucun doute possible, c’est Le Petit Bleu de la côte Ouest de Jean-Patrick Manchette. (SN n° 1 714, janvier 1977.)
Sans avoir jamais entendu parler de l’auteur, je me suis précipité pour acheter Le Petit Bleu après que j’en avais lu une recension élogieuse dans Rock & Folk. J’y ai d’abord découvert qu’on devait utiliser l’indicatif après la locution conjonctive « après que », et non pas le subjonctif. Cela suffit-il à changer une vie ? Pas tout à fait.[access capability= »lire_inedits »]
Je ne vais pas vous raconter le livre. Je vais simplement essayer de vous appâter avec quelques extraits de la première page. Laquelle débute ainsi : « Et il arrivait parfois ce qui arrive à présent : Georges Gerfaut est en train de rouler sur le boulevard périphérique intérieur. »
On apprend quelques lignes plus tard que « Georges Gerfaut est un homme de moins de quarante ans. Sa voiture est une Mercedes gris acier. Le cuir des sièges est acajou, et de même l’ensemble des décorations intérieures de l’automobile. L’intérieur de Georges Gerfaut est sombre et confus, on y distingue vaguement des idées de gauche. »
Et ça finit comme ça : « La raison pour laquelle Georges file ainsi sur le périphérique avec des réflexes diminués et en écoutant cette musique-là, il faut la chercher surtout dans la place de Georges dans les rapports de production. Le fait que Georges a tué au moins deux hommes au cours de l’année n’entre pas en ligne de compte. Ce qui arrive à présent arrivait parfois auparavant. »
S’ensuit une histoire pleine de marxisme, ce qui pourrait vous laisser indifférent, s’il n’était irrigué de bruit, de fureur, et de morts violentes – y compris celle du nouveau roman, exécuté en deux cents pages par le style classiciste de Manchette et sa ferveur narrative. Marx oui, mais cloné sur Retz et Dumas : on ne peut pas intelligemment raconter l’histoire de ce siècle si on ne sait pas raconter joliment des histoires.
La lecture et la relecture du Petit Bleu accompagneront mon glissement progressif du militantisme fun et parfois violent vers l’armchair marxism, qui constitue aujourd’hui mon fond de doxa. Marxisme de fauteuil, cela veut notamment dire qu’en politique je n’essaie plus depuis longtemps de convaincre qui que ce soit de quoi que ce soit. Mais si je peux vous convaincre de lire Jean-Patrick Manchette, alors je serai ravi.[/access]
*Photo : LIDO/SIPA. 00383186_000001.
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