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Mamika débarque en France


Mamika débarque en France
Sacha Goldberger expose sa Mamika à la Wanted Gallery à Paris jusqu'au 30 novembre.
Sacha Goldberger expose sa Mamika à la Wanted Gallery à Paris jusqu'au 30 novembre.
Sacha Goldberger expose sa Mamika à la Wanted Gallery à Paris jusqu'au 30 novembre.

Sacha Goldberger, artiste-photographe, dédie à sa grand-mère Frederika, alias « Mamika », une série de portraits. Réalisées depuis décembre 2006, ces photos la mettent en scène dans les situations les plus absurdes et déjantées qu’elle a (presque) toujours acceptées. « Mamika » (« petite grand-mère », en hongrois), 91 ans, est un phénomène. Frederika vit dans un décor assorti à son prénom. Il y a quelque chose de la Mitteleuropa dans ce mélange à la fois bourgeois et très chaleureux où la simplicité de l’hôte laisse respirer une indiscrète odeur de fantaisie. Mamika est née de l’imagination de son petit-fils, Sacha. Ce fils de pub, ancien directeur artistique dans des agences de renom, a voulu redonner un peu de joie de vivre à sa grand-mère alors qu’elle commençait à sombrer. Si la vieillesse est une salle d’attente, pourquoi ne pas se distraire un peu avant qu’on nous appelle ?

Jamais moqueuses, les photographies de Sacha Goldberger sont simplement cocasses, comme cette Mamika « malade », qui prend sa température avec un gros thermomètre d’appartement sous la langue. Enlevons cet objet incongru, et nous ne verrions qu’une vieille dame pâle et souffrante. Notre rire se figerait, voire se transformerait en larmes. Les répliques de Mamika, qui accompagnent ces clichés, n’en sont pas moins drôles : « Heureusement que j’ai une grande bouche. Tu imagines ce thermomètre dans un derrière ? La vie est injuste, il existe dix mille maladies, et on n’a qu’une seule vie. »[access capability= »lire_inedits »]

Une grand-mère qu’on ne présenterait pas à son fiancé

L’humour de Sacha et de sa grand-mère, c’est la revanche de la vie au bord du gouffre. Alfred de Musset ne disait-il pas, après avoir vu Le Misanthrope : « Quelle mâle gaîté si triste et si profonde – Que lorsque l’on vient d’en rire, on devrait en pleurer. » Cette vision ironique de l’existence a créé la série Supermamika.

Inspiré par les bandes dessinées américaines de son enfance (les comics), Sacha Goldberger a mis en scène sa grand-mère en costume de super-héros taillé spécialement pour elle. Un casque rouge customisé d’une étoile blanche vissée sur la tête, des rides non photoshopées, moulée dans un justaucorps rouge et un collant argent, une cape bleue sur les épaules, Supermamika vole dans les plumes du jeunisme.

Au rythme des staccatos, Frederika, qui aurait tant rêvé être une violoniste virtuose a, quant à elle, joué sa vie.

Née à Budapest, fille d’un riche industriel et sénateur juif hongrois, Frederika a grandi dans le beau, le raffinement et l’amour. Et puis, le nazisme est passé par là. Déportation de sa famille, assassinat de son père au camp de Mauthausen. Elle échappe à la mort en traversant le Danube gelé avec sa mère, sa fille et une dizaine de personnes, autant qu’elle pouvait en sauver. Plus tard, Frederika fuira le régime communiste et finira, après un périple à travers l’Europe, par trouver refuge en France. Et pourtant, elle ne voit rien d’extraordinaire ou d’héroïque dans ce chemin de vie qu’elle partage avec tant d’autres enfants de la première moitié du XXe siècle. Mais ces douloureuses épreuves n’ont pu venir à bout de ce petit bout de femme au caractère bien trempé. « Voyez-vous, la vie est naturellement dure », dit-elle de sa voix douce, en roulant les r. Une ashkénaze du shtetl aurait ajouté : « Et elle n’est pas faite pour nous amuser. » Or, rien n’est plus loin de l’esprit de Frederika, baronne en titre, héritage de sa grand-mère anoblie.

Après avoir tout perdu, Frederika reconstruit sa vie autour d’un métier : conseillère en style. Elle fondera son propre bureau de tendance, prisé du Tout-Paris et d’ailleurs, qu’elle finit par quitter à 80 ans. « Il était temps que je laisse la place aux jeunes », déclare-t-elle, l’oeil rieur et le sourire en coin : elle n’en pense pas un mot. Joueuse, séduisante et attendrissante, Frederika possède des atouts coquets et délicats, qui nul doute charmèrent ses quatre maris successifs. Le premier devient homosexuel, le deuxième, le grand-père de Sacha, la trompe allègrement avec sa meilleure amie et le troisième meurt Dieu sait où. Du quatrième, Louis, un bel homme plus jeune qu’elle, Frederika en parle toujours comme de son plus grand amour, mais on n’en saura pas plus…

Ce qui est certain, c’est que Mamika n’est pas la grand-mère que l’on présenterait à son fiancé : elle fume une banane comme un havane, se fait des bigoudis avec des carottes, se lime les ongles avec un cornichon… Autant de mises en scène burlesques allant crescendo : elle sirote son thé avec deux pailles, servi dans une traditionnelle bouillotte de couleur rose ; cigarette d’après l’amour à la main, Supermamika offre une bouffée à Superman, allongé dans un lit à ses côtés, grandeur Kinder-surprise, non loin d’un Batman de 10 cm, l’amant caché sous le sommier. Sacha Goldberger a réussi la gageure de créer une esthétique du rire.

Mamika, grande petite grand-mère, de Sacha Goldberger, Éditions Balland, 19,90 euros. www.sachabada.com. Exposition jusqu’au 30 novembre à la Wanted Gallery à Paris, 23, rue du Roi de Sicile, 75004 Paris.

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Novembre 2010 · N° 29

Article extrait du Magazine Causeur



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