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La grand-mère bibliomane

“Mamie Loulou” d’Aurelia Clément (Phébus, 2023)


La grand-mère bibliomane
La romancière Aurélia Clément © Raphaël Denis-Callier

Le premier roman d’Aurélia Clément, Mamie Loulou, retrace le portrait d’une femme qui aimait trop les livres


La plupart des grands-mères lèguent à leurs petites-filles le secret d’une recette de cuisine, ou celui d’ôter une tache tenace sur un chemisier blanc. Mamie Loulou, la grand-mère de la narratrice et héroïne du premier roman d’Aurélia Clément (mais est-ce vraiment un roman ?…) ne lègue rien de concret, si ce n’est le mystère de sa vie. Mamie Loulou est morte stupidement : en tombant de son escabeau alors qu’elle voulait attraper un livre. Elle n’avait que 69 ans et était en pleine forme. Cette mamie-là vivait recluse parmi des milliers d’ouvrages, dans une vieille maison dont le jardin était asphyxié par le lierre et les mauvaises herbes.

Pathologie

Durant tout le roman, la narratrice interroge sa grand-mère défunte. Le « tu » marque l’obsession à vouloir comprendre le pourquoi de cet effacement. A-t-elle vécu un jour dans la vraie vie ? s’interroge sa petite-fille. N’est-elle pas, comme dans une tragédie, la petite-fille d’une lignée maudite ? À travers ce questionnement, la narratrice va chercher à cerner sa propre personnalité, et surtout elle espère débloquer les verrous qui l’empêchent de vivre pleinement. Au fur et à mesure qu’elle découvre l’existence très romanesque de sa grand-mère, elle se libère du poids qui pèse sur ses épaules. Le lecteur devient le témoin d’une véritable thérapie. Il découvre le chagrin qui a brisé le cœur de Mamie Loulou, prénommée Louise. Ce chagrin porte un nom : l’abandon.

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Elle avait construit une véritable forteresse, pour reprendre le titre du scénario d’Alain Robbe-Grillet écrit pour un projet de film d’Antonioni, avec d’immenses murs de papier où l’on retrouvait les ouvrages de Voltaire, Flaubert, Gide, Camus, Jules Renard, Romain Rolland… Elle était devenue une bibliomane pathologique, s’égarant dans les labyrinthes fictionnels, sans possibilité d’en sortir jamais. Elle s’ensevelit sous les livres.

© D.R.

Ce premier roman tient toutes les promesses d’un bon livre. Grâce à quelques rebondissements crédibles, l’enquête œdipienne ne faiblit pas. Elle permet aussi de revisiter le XXe siècle puisque Louise est née en 1925. Elle a dû batailler ferme pour gagner sa liberté de femme. Militante féministe, sans lunettes idéologiques, Louise, à l’image des femmes de sa génération, a payé cher le prix de la domination patriarcale. Et celui de la lâcheté des hommes.

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Le refuge et le refus

Le roman, émaillé de nombreuses références littéraires, est également un hommage rendu à la littérature. La narratrice, interrogeant Louise : « Tu désirais être comprise et la littérature te donnait le sentiment d’être acceptée dans toutes tes contradictions. Plus encore, elle minimisait tes échecs en t’offrant la possibilité de combler l’écart entre la femme que tu aurais pu être et la femme que tu étais devenue. » Mais elle poursuit, un peu amère : « Même si tout cela est illusoire, que l’on peut choisir sans regret, que les mots sont impuissants et que les livres, au bout du compte, ne nous rendent pas heureux. »

Il n’y a rien d’étonnant à ce que Madame Bovary ait été le livre de chevet de Mamie Loulou.

Aurélia Clément, Mamie Loulou, Phébus, 208 pages.

Mamie Loulou

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Pascal Louvrier est écrivain. Dernier ouvrage paru: « Philippe Sollers entre les lignes. » Le Passeur Editeur.

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