Avec Maman se suicide vendredi, Marianne Maury Kaufmann nous donne à lire un roman étonnant, vif et de haute qualité littéraire.
On la connaît comme illustratrice grâce à son personnage Gloria, hilarante petite bonne femme, citadine fantasque et attachante, à qui elle donne vie dans divers magazines français et belges. Mais on sait moins que Marianne Maury Kaufmann est un sacré écrivain ; une romancière à l’incontestable talent. La preuve : son dernier roman, Maman se suicide vendredi. Katia, la narratrice, apprend par Noémie, sa sœur, qu’elle n’a pas vu depuis des années, que leur mère, Claudie, veut mettre fin à ses jours vendredi.
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Elle est instable, autocentrée
Pour ce faire, elle a besoin de ses deux filles à ses côtés. Elle les convoque chez elle pour qu’elles l’assistent dans les funestes préparatifs. Claudie n’a pas été une femme facile : d’un caractère entier, elle est instable, autocentrée, dévorée par des douleurs intimes. Son instinct maternel en a pâti ; « ce n’est pas mon truc », disait-elle. Katia et Noémie le savent. La première a tout fait pour échapper à son emprise souvent délétère. Cette fois, elle n’a plus le choix. Elle doit se confronter au dernier choix de sa mère, tout en espérant que celle-ci va flancher au dernier moment et revenir sur sa terrible décision. Mais le compte à rebours est lancé. Les voilà toutes les trois dans cette maison à la laideur déprimante, pleine de vieilles choses et de tout aussi vieux souvenirs navrants. Claudie se couvre de patchs mortifères, elle s’endort. Pour toujours ? Les deux sœurs peinent à le croire. Katia choisit de contrôler régulièrement le pouls de sa génitrice. Elles sont obligées d’éteindre afin de ne pas éveiller l’attention des voisins : « Noémie voulait que nous éteignions tout, absolument tout dans l’appartement. Elle criait à voix basse, en brassant l’air de ses mains. Il fallait faire comme si nous partions, elle disait, tout éteindre et surtout claquer la porte, la claquer assez fort pour que les voisins entendent et s’imaginent que nous étions parties. » Les minutes passent ; les sœurs se remémorent des souvenirs, surtout ceux partagés avec la morte potentielle. Il y a des presque disputes, des vacheries, des sous-entendus. Puis des fous rires : « Comme quand nous étions petites. Nous riions comme on vomit, irrésistiblement, les yeux remplis de larmes, le ventre noué, à court d’air. (…) nous saisissions bien l’obscénité de la situation, notre pauvre mère dans son lit et nous dans ce rire infect, mais nous ne pouvions rien y faire. »
Katia apprend que sa sœur s’est adonnée à la cocaïne et à l’héroïne. Pour l’alcool, elle savait : « On en parlait à l’aise, avec les parents. C’était même un sujet qui nous rapprochait. Ça les amusait beaucoup, les adultes, cette attirance chez une fillette. Noémie était l’attraction, aux dîners. Ils lui faisaient goûter les cocktails. » Au fil des pages, on comprend – c’est certainement le moment le plus émouvant, le plus fort – que Claudie est une rescapée de la Shoah ; toute sa vie, elle était donc presque morte.
Un roman à la fois drôle et grave, écrit avec délicatesse et tendresse. Un texte très fort. Gloria peut être fière de sa créatrice.
Maman se suicide vendredi, Marianne Maury Kaufmann ; Maurice Nadeau ; 142 p.
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