Alexandre Duval-Stalla évoque la destinée croisée de deux figures françaises majeures du XXème siècle.
Il m’arrive de dire que c’était mieux avant. Mais je me reprends, et rectifie en disant que c’était différent. Puis j’ai lu l’excellent livre d’Alexandre Duval-Stalla, paru en 2008, qui vient de paraître en folio, André Malraux-Charles de Gaulle : une histoire, deux légendes, et je ne peux que confirmer que, oui, c’était mieux avant. Mieux pour la France, qui était défendue et, surtout, aimée. Comme le souligne Daniel Rondeau, dans sa préface, à propos de Duval-Stalla : « Ce n’est pas si banal, il nous parle d’un temps où notre pays était gouverné par deux écrivains. » Et d’ajouter : « Tout cela paraît loin. C’est très loin. »
Un projet de livre cornaqué par Sollers
Cette biographie croisée a été éditée par Philippe Sollers dans la collection L’Infini. Au passage, rendons hommage à l’éditeur perspicace qu’il fut. Il était plutôt silencieux pendant les fameuses réunions du comité de lecture de la « banque centrale », chuchotant quelques blagues à l’oreille de son complice et voisin, Richard Millet ; Antoine Gallimard lui laissant carte blanche pour les publications dans sa collection. Sollers tenait beaucoup à cette biographie.
D’abord parce qu’elle est très vivante et documentée ; ensuite parce qu’il était un fervent admirateur de l’homme du 18 juin. Il savait ce que la France lui devait. Dans l’article « De Gaulle surréaliste », Sollers se souvient : « J’ai entre 6 et 8 ans, j’écoute ça avec mes parents dans un grenier de Bordeaux. Ici, Londres, les Français parlent aux Français, Radio Paris ment, Radio Paris est allemand. Je n’y comprends pas grand-chose sauf qu’il y a une grande perturbation dans le ciel (…). Il y a l’appel du 18 juin, bien sûr, que personne ou presque a entendu. Mais ce général est têtu. Le 23 juin : ‘’La guerre n’est pas finie, le pays n’est pas mort, l’espoir n’est pas éteint. Vive la France !’’ » La fidélité à la voix de l’enfance.3
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Malraux, bien sûr. Autre voix de la France. L’écrivain au souffle épique, qui transforme sa vie erratique en destin, la mêlant à celle de Charles de Gaulle. Sollers lui doit d’avoir été réformé, lui évitant d’être envoyé en Algérie comme soldat de deuxième classe. Il remercie l’écrivain devenu ministre de la Culture du général de Gaulle. Malraux lui répond sur une carte de deuil (il vient de perdre ses deux fils dans un accident de la route) : « C’est moi qui vous remercie, monsieur, d’avoir pu, au moins une fois, rendre l’univers moins bête. »
On s’y croirait
Donc, la rencontre entre de Gaulle et Malraux. Elle a lieu le mercredi 18 juillet 1945, au ministère de la Guerre, à Paris. Il est 11 heures du matin. On s’y croirait. Duval-Stella raconte que leur premier face à face n’a pas été une évidence. D’un côté, le chef de la France libre, hiératique et impénétrable ; de l’autre l’écrivain engagé dans la lutte contre le fascisme, prix Goncourt 1933 pour La Condition humaine, colonel enrôlé dans la brigade Alsace-Lorraine. Daniel Rondeau rappelle que le premier geste de Malraux dans Strasbourg libérée fut de faire ouvrir les portes de la cathédrale. La France charnelle les réunit. Les deux hommes respirent à la même hauteur. Ce sont deux solitudes qui vont vivre ensemble pendant plus de vingt-cinq années. Ils auraient pu se détester. De Gaulle tempêtait à propos de Malraux : « ce communiste ! » L’écrivain, bourré de tics, à la pensée parfois confuse et à l’élocution sismique, rétorquait : « Ce fasciste ! » Dans son livre, qui se lit comme un roman hugolien, Duval-Stella raconte les grands événements vécus par les deux figures historiques, notamment le retour au pouvoir (1958-1962) du Général, le rôle déterminant de Malraux, ministre d’État, chargé des Affaires culturelles, toujours à la droite du chef de l’État au Conseil des Ministres, le départ du Général après le « coup de Jarnac » de Giscard en 1969, et le référendum suicidaire, enfin le solitaire de Colombey-les-Deux-Églises. La dernière rencontre a lieu le jeudi 11 décembre 1969. Malraux consigne tout, publie Les chênes qu’on abat…, et devient l’égal de Chateaubriand. Il révèle l’analyse clairvoyante du Général, au soir de sa vie : « Les Français ont toujours eu du mal à se débrouiller entre leur désir des privilèges et leur goût pour l’égalité. Mais au milieu de tout ce joli monde, mon seul adversaire, celui de la France, n’a aucunement cessé d’être l’argent. » Et d’ajouter, à propos de cette France, qui ne cesse de se rétrécir depuis sa mort, le 9 novembre 1970 : « Ce que nous avons voulu – entre vous et moi, pourquoi ne pas lui donner son vrai nom : la grandeur – c’est fini. »
André Malraux meurt le 23 novembre 1976, à l’aube. Il bredouille : « C’est une interminable corvée… » L’écrivain est enterré dans le modeste cimetière de Verrières. Parmi les fleurs, une couronne de roses rouges attire le regard, celle du Parti communiste français. Je me devais de signaler ce détail qui touchera, j’en suis certain, mon ami Jérôme Leroy.
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