De notre envoyé spécial à Bamako.
Le peuple malien est réputé pour son hospitalité. L’accueil enthousiaste réservé à François Hollande le 2 février 2013 est resté dans toutes les mémoires. Le président de la République n’affirma-t-il pas avec émotion qu’il vivait le plus beau jour de sa vie politique ? Comment serait-il reçu aujourd’hui ? Au mieux avec indifférence. Plus certainement sous les injures et les quolibets.
Ce qui frappe, quand on arpente les rues Bamako pour discuter avec les gens simples, ceux qui ne sont pas allés à l’école, ne parlent pas le français, ne fréquentent ni les hôtels climatisés ni les cercles d’intellectuels où les journalistes occidentaux rencontrent leurs informateurs, c’est le retour lancinant d’une seule et même question : mais pourquoi donc ne nous aimez-vous pas ? Rien d’agressif dans cette interrogation. Juste de la déception, comme de l’amour déçu. Les Maliens se sentent proches de la France. Tous y ont des parents ou des amis. Ils ont partagé son histoire et des milliers d’entre eux sont morts sur les champs de bataille des deux guerres mondiales. Pourtant, la France leur paraît aujourd’hui bien ingrate.
On ignore ici le coût faramineux de l’opération Serval, et les efforts importants consentis par notre pays pour aider le Mali alors que les caisses de l’Etat sont vides. Mais s’agit-il, justement, d’aider le Mali ? L’opération Serval, déclarait le président de la République le 15 janvier, a trois objectifs : arrêter les « terroristes », sécuriser Bamako, et « permettre au Mali de recouvrer son intégrité territoriale ». Si les deux premiers buts ont été atteints, on est encore bien loin du compte concernant le troisième.
À Kidal règne aujourd’hui la plus grande anarchie. Les rebelles du Mouvement National de Libération de l’Azawad (MNLA), qui ont mis le nord du pays à feu et à sang, entraînant avec eux les djihadistes toureg d’Ansar Dine et ceux étrangers d’AQMI, y ont pignon sur rue. Le MNLA avait pourtant disparu du champ politique malien à la fin de l’année 2012, taillé en pièce par le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’ouest (MUJAO). Il a opportunément profité de l’intervention française en janvier 2013 pour s’installer solidement à Kidal, déserté par les terroristes qu’il prétend avoir chassés. Mais à qui donc feraient-ils peurs, ces rebelles touareg prompt à prendre la pose devant les journalistes et à se répandre en lamentations sur les ondes des médias occidentaux qui leurs ouvrent complaisamment leurs antennes ? L’arme que l’on manie le mieux au MNLA, ce n’est pas la Kalachnikov, c’est le micro ! Ansar Dine, pour sa part, s’est refait une virginité en se transformant comme par miracle en Haut conseil pour l’unité de l’Azawad. Personne n’est dupe de la manœuvre, et certainement pas les autorités françaises qui feignent d’ignorer la porosité constante entre Ansar Dine, le MNLA et AQMI.
Quand les accords signés à Ouagadougou en juin 2013 prévoyaient le cantonnement des rebelles et l’entrée dans la ville des troupes maliennes, c’est aujourd’hui l’armée malienne qui est cantonnée à Kidal alors que les rebelles y paradent en toute impunité ! Les forces de l’opération Serval présentes sur le terrain, pas plus que celle des Nations-Unies, la MINUSMA, ne sont capables d’y faire régner l’ordre. Mais le problème n’est pas tant militaire que politique. Croit-on vraiment que les troupes d’élites envoyées par la France aient quelque chose à redouter des soldats d’opérette du MNLA ? En fait, la France interdit aujourd’hui au Mali de recouvrer son intégrité territoriale et empêche son armée de rétablir son autorité sur la région de Kidal. Pour les Maliens de la rue, c’est tout à la fois incompréhensible et inacceptable. L’assassinat le 2 novembre de deux journalistes de RFI, qui se sentaient probablement en sécurité sous la protection supposée du MNLA dont ils venaient de rencontrer l’un des leaders, a été ressenti ici comme un drame et comme une honte : n’appartient-il pas à un hôte de protéger les étrangers qu’il reçoit ? Mais comment les Maliens protégeraient-ils leurs invités si eux-mêmes n’ont pas voix au chapitre sur une large portion de leur propre territoire ?
Ce jeudi, le premier ministre Oumar Tatam Ly a été empêché de se rendre à Kidal par des manifestations du MNLA. Fidèle à une tactique bien rodée, les rebelles touareg ont fait descendre dans la rue des femmes et des enfants qu’ils ont lancé contre les rares forces maliennes présentes à l’aéroport. Celles-ci ont dû faire usage de leurs armes, ce qui s’est traduit par plusieurs blessés graves parmi les manifestants. Le chœur des pleureuses s’est alors automatiquement enclenché, aussitôt relayé par les médias occidentaux, pour dénoncer le racisme supposé des militaires maliens qui se serait exercé contre une population pacifique injustement stigmatisée. La stratégie victimaire fonctionne ainsi à plein, faisant des bandits sans foi ni loi du MNLA de gentils bisounours victimes de barbares venus du sud. Bien plus, le MNLA assure maintenant reprendre les hostilités contre l’armée malienne !
La région de Kidal en particulier, si ce n’est le Mali en général, est aujourd’hui un protectorat français qui ne dit pas son nom, ce que les intellectuels maliens expriment sans fard. Une actrice en vue du secteur du développement affirmait ce vendredi sous couvert de l’anonymat que le président de la République malienne n’était rien d’autre qu’un chef d’arrondissement du président Hollande ! Le coupable est ici tout trouvé, et un homme focalise le ressentiment de la population malienne : Gilles Huberson, le barbouze nommé en février à la demande de Laurent Fabius pour remplacer l’ambassadeur Christian Rouyer qui avait su se faire apprécier de la population locale. Le chef d’état-major du président de la République malienne a dit récemment en termes peu diplomatiques ce que tout le monde pense tout bas à Bamako : Gilles Huberson apparaît davantage comme l’ambassadeur du MNLA à Bamako ou comme le représentant de la France auprès du MNLA que comme l’ambassadeur de France au Mali ! La proximité de notre ambassadeur avec les rebelles du MNLA est en effet un secret de polichinelle. Moussa ag-Acharatoumane, membre du bureau politique du MNLA, a affirmé sans être démenti,dans Le Monde du 19 novembre, que Gilles Huberson menait les négociations avec son organisation bien avant de prendre ses fonction à Bamako ! On en déduit que la mission de Gilles Huberson n’est pas tant d’aider le Mali à sortir de la crise qu’il traverse que de récupérer les otages français et de permettre à la France de s’implanter durablement dans le nord du pays en s’appuyant sur le MNLA.
Mercredi et jeudi, pour la première fois, des manifestants ont arpenté les rues de Bamako en scandant des slogans hostiles à la France et à François Hollande. Il est à craindre qu’il ne s’agisse là que d’un début. Demain, peut-être, les enfants seront les derniers Maliens à sourire aux Français …
*Photo : Francis Simonis.
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