L’émotion, qui submerge la France depuis la mort des deux journalistes de RFI, est légitime. Elle l’est moins lorsqu’elle engage des décisions stratégiques et tactiques sur le terrain. À l’image de l’annonce que la porte-parole du gouvernement a faite le lendemain aux Échos : « Il nous reste près de 3 000 hommes. Il va sans doute falloir renforcer encore cette présence pour faire reculer le terrorisme. »
Jusqu’à présent, la mort de soldats français suscitait de la part des gouvernements une accélération du calendrier de retrait des troupes. Il faut croire que lorsque des journalistes tombent, le calendrier s’inverse carrément.
Mais d’un point de vue militaire et diplomatique, ce virage stratégique est-il vraiment justifiable? Olivier Zajec, qui enseigne la stratégie à l’Ecole de guerre, rappelait au mois de mars dans Le Monde diplomatique, les dangers d’une opération militaire contre le terrorisme : « Voir le slogan simpliste de la « guerre contre le terrorisme » connaître une surprenante épiphanie malienne s’avère d’autant plus troublant que les Américains, promoteurs de la formule, l’ont abandonnée en 2009. M. Barack Obama avait alors fait remarquer qu’il était « stupide » de « faire la guerre à un mode d’action ». Dans son essai La nouvelle impuissance américaine, il avait sonné le glas de la mode stratégique du moment, le nation-building contre-insurrectionnel : « la contre-insurrection ne fonctionne que dans deux cas précis et aujourd’hui datés : la colonisation et la décolonisation ». Les schémas de David Galula, stratège français découvert sur le tard par le général Petraeus à l’occasion des conflits irakien et afghan, sont certes intéressants, mais ils ont été écrits au début des années 60, ce qui leur fait perdre de leur pertinence.
Et si les succès libyen et malien ont effacé les humiliations occidentales subies au Moyen-Orient, c’est sans doute parce que nos armées se sont engagées face à un ennemi bien identifié derrière une ligne de front bien définie et dans un temps limité. Mais une fois l’ennemi dépassé et infiltré derrière cette ligne, les attentats-suicides et les prises d’otage se multiplient. La grosse machine militaire n’est plus adaptée. Le soldat qui patrouille ne peut pas distinguer le civil du terroriste : il devient une cible en mouvement. Face au terrorisme, la solution n’est plus militaire mais policière et, à long terme, politique.
Au rebours de cette logique, on trouve dans les états-majors des partisans d’un renfort militaire. En 2010, Le général Vincent Desportes avait par exemple dénoncé les manques de moyens militaires en Afghanistan et réclamé 100 000 soldats supplémentaires. Mais avec près de 150 000 hommes, les Etats-Unis et leurs alliés ne sont pas parvenus à contrôler les montagnes afghanes. Pour l’ancien patron de l’École de guerre qui s’exprimait le 3 novembre sur France Inter c’est simple, il faut appliquer les mêmes recettes au Mali qu’en Afghanistan : rester et augmenter les effectifs. « Les forces françaises devront rester là avec des volumes importants, elles devront renforcer leurs effectifs au Mali (…) On ne pourra retirer nos forces qu’une fois une nouvelle paix établie », argumente-t-il.
Alors que la nouvelle loi de programmation militaire va réduire l’ensemble des forces opérationnelles françaises à 66 000 hommes, les états-majors invoquent les opérations extérieures pour défendre leurs effectifs et leurs programmes. Chaque année, le surcoût des « OPEX » constitue un véritable casse-tête budgétaire. Mais pour obtenir gain de cause auprès de Bercy et de Matignon, nos généraux feraient mieux de parler « emploi d’avenir », « relance industrielle » et « intégration des jeunes issus de l’immigration ». Ironie du sort, c’est exactement le type d’emploi supprimé lorsqu’est dissout un régiment d’engagés volontaires. Emplois ensuite recrées à grand frais dans les cités. Tout cela est d’une logique imparable.
Mais le renfort de troupes annoncé au Mali obéit à d’autres considérations, purement médiatiques. Oubliées la réflexion stratégique sur la place de la France dans le monde et les contraintes budgétaires. Les mystères de la « guerre contre le terrorisme » sont décidément insondables…
*Photo : GILLES GESQUIERE/ARMEE DE/SIPA. 00668675_000001.
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