Muriel Gremillet. Comment jugez-vous l’attitude de la classe politique à l’égard des événements tunisiens ?
Une fois de plus la France a raté une occasion de prendre une position forte. Ce n’est qu’une fois que les choses ont été jouées que le gouvernement est intervenu officiellement. Le problème, c’est que nous n’avions plus de liens qu’avec le pouvoir. Il n’y a qu’à voir comment Michèle Alliot-Marie a été incapable de décrypter le mouvement populaire. On paye dans cette situation notre pseudo-realpolitik en matière de relations internationales. L’alternative aujourd’hui est absurde : soit on est catalogué comme doux rêveur si on pose un minimum d’exigences éthiques, soit on est classé comme collabo, si on a entretenu des relations. Mon opinion est qu’il y a une autre façon de faire de la politique: le gouvernement maintient des relations d’Etat à Etat : on sait qu’on ne peut s’ingérer. Mais de l’autre main, il faut garder des contacts soutenus avec les forces d’opposition démocratique. Nous avons su le faire au temps du bloc de l’Est. On discutait avec les gouvernements tout en soutenant politiquement les dissidents, et nos ambassades travaillaient dans ce sens. La réaction française aux événements en Tunisie montre que nous avons abandonné cette stratégie.
Malek Boutih. Pourquoi particulièrement avec la Tunisie ?
La Tunisie n’est que la cruelle illustration de notre comportement général. Il n’y a qu’à voir comment on se met à genoux devant Pékin espérant vendre des Airbus. Mais dans le fond, c’est assez rationnel : nos politiques se sont laissé embobiner par le régime de Tunis, par le décorum. Cette attitude aggrave notre faute vis à vis des Tunisiens. À tel point que je me demande si certains en France, n’étaient pas persuadés que, dans le fond, Ben Ali était un démocrate. Alors que la Tunisie c’était le mélange de la dictature et de la mafia. Les failles de notre diplomatie sont profondes et le gouvernement en porte aujourd’hui la responsabilité.
À ceci près que depuis la prise du pouvoir par Ben Ali en 1987, la gauche ne s’est guère démarquée de la droite
Sur la Tunisie, la gauche n’a pas plus été à la hauteur que le gouvernement ces dernières semaines. C’est quand les jeux ont été faits que les positions ont été clarifiées. Il y a eu un flottement dans la direction du PS, les militants ont critiqué une certaine timidité, une certaine gêne. Nous n’avons pas pris la mesure des événements. Force est de constater qu’il y a un continuum dans la politique étrangère entre la gauche et la droite. Depuis 1987 et l’arrivée de Ben Ali au pouvoir, la gauche a suivi la politique majoritaire et laissé faire les fonctionnaires du Quai d’Orsay. Résultat, gauche ou droite, la France recule dans le monde ; on désespère ceux qui s’opposent aux Etats-Unis et à la fois nos alliés occidentaux ne savent pas s’ils peuvent vraiment compter sur nous… Mais il n’y a pas plus de politique étrangère de gauche, qu’il n’y a de politique économique ou sociale : il lui est impossible de savoir aujourd’hui où mettre le curseur du changement. Au-delà de ce qui se passe en Tunisie, la gauche est de toute façon plus une force d’alternance que d’alternative. La preuve c’est qu’elle n’est pas capable de se maintenir au pouvoir et ne gagne jamais deux élections majeures de suite.…
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